#Santé

Hypertension artérielle après 80 ans : qui traiter, quand et comment ?

Avec l’âge, la tension artérielle a tendance à augmenter, en raison d’une accentuation progressive de la rigidité des artères.

Les patients âgés hypertendus présentant davantage de risques cardiovasculaires, il est recommandé de prendre en charge l’hypertension. Mais quels objectifs thérapeutiques faut-il fixer ? En cas de comorbidités, polymédication et/ou fragilité, faut-il traiter ou maintenir le traitement déjà instauré, ou, au contraire, déprescrire ?
 
Pour cette adaptation thérapeutique, comment déterminer le rapport bénéfices-risques de tel ou tel traitement antihypertenseur, alors que la plupart des études sur l’utilité de ces traitements sont menées sur des sujets de moins de 80 ans, sans pathologies lourdes ni traitements médicamenteux multiples associés ?
 
Afin d’en savoir plus, le Pr Athanase Benetos (gériatre, CHU de Nancy) et ses collaborateurs (gériatres de Nancy, d’Italie, Finlande, Pologne, Angleterre et Belgique) ont cherché les études randomisées effectuées auprès de patients hypertendus octogénaires. Leur méta-analyse, publiée en juillet 2015 dans la revue JAMA, confirme le peu de travaux effectués. Ils n’ont identifié qu’une seule grande étude randomisée, multicentrique, qui montre des résultats significativement intéressants du traitement antihypertenseur. Mais cette étude n’a été menée que chez des octogénaires en relative bonne santé .  
 
Les auteurs, en complément de leur méta-analyse, font donc partager leur expérience de gériatres hospitaliers européens auprès d’octogénaires fragilisés, pour lesquelles nous ne disposons donc pas d’études dédiées. Ils préconisent une personnalisation fine de la prise en charge de l’hypertension chez les plus âgés, en particulier via une "évaluation gériatrique globale pluridisciplinaire" et une adaptation des traitements et objectifs tensionnels.
 
Les auteurs ont résumé leur approche personnalisée dans un algorithme d’aide à la décision et proposent également des cas cliniques illustrant cette approche.  
Sophie Dumery 09 septembre 2015 Image d'une montre8 minutes icon 9 commentaires
1
2
3
4
5
3,0
(1 note)
Publicité
L'hypertension artérielle est fréquente chez les octogénaires (illustration).

L'hypertension artérielle est fréquente chez les octogénaires (illustration).

 
L'étude HYVET : 3 845 patients de plus de 80 ans souffrant d'une hypertension chronique bien établie
L'étude HYVET (Hypertension in the Very Elderly Trial), publiée en 2008 dans le New England Journal of Medicine, est la seule étude randomisée versus placebo réalisée chez des octogénaires hypertendus traités en ville identifiée par les auteurs.
 
[édit 11/09] Cette étude, co-financée par la British Heart Foundation et l'Institut de Recherches Internationales Servier [/édit 11/09], a inclus 3 845 patients chinois, européens, tunisiens et australasiens, tous âgés de plus de 80 ans et durablement hypertendus, avec une pression artérielle systolique (PAS) supérieure à 160 mm Hg. Ces patients ont reçu soit un diurétique (indapamide) soit un placebo et ont été suivis en moyenne pendant 2,1 ans. Ce traitement  a été complété, si besoin, par un inhibiteur de l'angiotensine (perindopril) ou un placebo.
 
L'objectif thérapeutique fixé était une pression artérielle de 150/80 mm Hg.
 
Le critère principal d'évaluation était la réduction, ou non, de la survenue d'un accident vasculaire cérébral (AVC), fatal ou non.
 
Une réduction significative du risque de décès, par AVC et toutes causes confondues, et du risque d'insuffisance cardiaque
Sur le critère principal d'évaluation, les résultats montrent une baisse moyenne de 30 % du risque de survenue d'un AVC, fatal ou non, dans le groupe des patients sous traitement médicamenteux, diminution non significative (IC 95 % = -1 à 51 %, p = 0,06).
 
En ne considérant que les AVC mortels, les patients traités ont présenté une réduction moyenne de 39 % du risque, à la limite de la significativité statistique, avec de grandes disparités (IC 95 % = 1 - 62 %, p = 0,05).
 
Les résultats sont plus concluants sur le risque de décès toutes causes confondues, diminué de 21 % dans le groupe traité (IC 95 % = 4 – 35 %, p = 0,02). Le risque d'insuffisance cardiaque est le plus nettement diminué dans le groupe traité (diminution moyenne de 64 %, IC 95 % = 42 - 78 %, p < 0,01).
 
L'étude HYVET a été stoppée prématurément en raison d'une baisse "inattendue" de la mortalité dans le groupe traité
Les résultats résumés  ci-dessus sont "incomplets" en raison de l'arrêt précoce d'HYVET à cause du constat d'une baisse "inattendue" de 24 % (RR = 0,76 ; IC 95% = 0.62 - 0.93 ; p = 0,007) du risque de mortalité toutes causes, constatée lors d'une analyse intermédiaire.
 
Mais des études effectuées a posteriori ("post hoc")  ont confirmé les premiers résultats. Ainsi, la prolongation en ouvert d'HYVET montre à un an que les différences positives se maintiennent dans le groupe traité pour atteindre les objectifs tensionnels.
 
Mais les patients octogénaires les plus fragiles avaient été exclus d'HYVET
Les auteurs soulignent plusieurs limites à l'étude HYVET : outre l'absence de résultat positif sur le critère principal (AVC), cette étude n'a pas inclus de patients présentant une PAS de 140 à 160 mm Hg (tension pour laquelle un traitement est indiqué chez les patients moins âgés).

De plus, les patients nécessitant des soins à domicile ou atteints d'une pathologie sévère (insuffisance rénale, démence, maladie cardiovasculaire sévère, polymédication, hypotension orthostatique sévère, etc.) n'ont pas été inclus.
 
De même, les recommandations de bonne pratique ne prennent pas en compte l'éventuelle fragilité des plus âgés
Selon les dernières recommandations françaises élaborées par la Société Française d'Hypertension Artérielle et publiées en janvier 2013, en cas d'hypertension artérielle après 80 ans définie par une PAS > 160 mm Hg, il est recommandé :
- de fixer un objectif de pression artérielle systolique < 150 mm Hg, sans hypotension orthostatique,
- de ne pas dépasser la prescription de plus de trois antihypertenseurs,
- d'évaluer les fonctions cognitives (au moyen du test MMSE).
 
Mais pour Athanase Benetos et coll., cette stratégie thérapeutique doit être affinée en fonction du niveau de fragilité du patient (tout comme les stratégies définies dans les recommandations européennes et américaines).
 
Dans la vie réelle, les octogénaires sont souvent polymédiqués et plus ou moins fragilisés. Il faut donc les traiter avec la plus grande prudence
Que peut-on attendre des règles hygiéno-diététiques ? Comment instaurer un traitement antihypertenseur chez un octogénaire fragilisé et déjà polymédiqué ?
 
Les auteurs soulignent que le recours aux modifications de l'hygiène de vie est souvent considéré suffisant pour faire baisser la tension artérielle chez les seniors, mais n'est pas documenté chez les octogénaires et plus. Or dans cette population plus fragile, des restrictions peuvent se révéler néfastes, comme la réduction calorique sans activité physique, qui favorise la cachexie et la fonte musculaire. Le régime hyposodé n'est pas plus pertinent avec ses risques d'hyponatrémie et d'hypotension orthostatique.
 
En pratique, les plus de 80 ans hypertendus se voient donc le plus souvent prescrire un, puis rapidement plusieurs antihypertenseurs.
 
Or ils prennent souvent déjà un ou plusieurs médicaments quotidiens (voir notre article sur la prévalence de la polymédication des personnes âgées en France), dont certains sont à risque de chute, confusion, interactions médicamenteuses, etc. (anticholinergiques, benzodiazépines, anticoagulants, etc.). Un ajout d'antihypertenseurs risque donc de majorer les possibles risques iatrogènes, d'où une indispensable évaluation globale avant de traiter.
 
Bien vérifier la réalité de l'hypertension, puis pratiquer une "évaluation gériatrique globale" avant de traiter ou d'ajuster le traitement antihypertenseur
Avant de traiter, il est capital de confirmer à plusieurs reprises, en position debout et assise, les chiffres tensionnels, qui sont plus labiles (variables) chez les plus âgés (ces patients sont également plus sensibles à l'effet "blouse blanche", d'où l'intérêt d'une automesure à domicile, au calme).
 
Il faut ensuite bien évaluer les risques du traitement en cours avant d'y ajouter des antihypertenseurs, tout en tenant compte des possibles risques de ces médicaments antihypertenseurs, ainsi que des capacités fonctionnelles et cognitives, tout en déterminant quels sont les objectifs thérapeutiques prioritaires du patient.
 
Pour réaliser une telle "évaluation gériatrique globale", les auteurs préconisent de recourir à une équipe multidisciplinaire (gériatre, infirmière spécialisée ou coordinatrice, assistante sociale, kinésithérapeute, psychologue, voire pharmacien).
 
Cette évaluation va permettre de déterminer plus finement l'utilité des médicaments antihypertenseurs chez les octogénaires fragilisés polymédiqués, en les ajustant en fonction des risques détectés, voire de l'espérance de vie théorique. Cette évaluation et ces ajustements peuvent aussi aboutir à la mise en place d'une stratégie de déprescription d'antihypertenseurs pris depuis plusieurs années et/ou d'autres médicaments.
 
Si un traitement antihypertenseur doit être instauré après 80 ans, la monothérapie doit être privilégiée, et l'ajout d'une deuxième molécule envisagé uniquement si un bénéfice clair en est attendu "par rapport au risque des médicaments antihypertenseurs eux-mêmes ou par augmentation de la polymédication", précisent les auteurs.
 
Un algorithme de prise en charge proposé par Benetos et coll.
Les auteurs résument leur approche dans cet algorithme décisionnel, qui inclus l'évaluation gériatrique globale en cas de fragilité :


Les auteurs citent Fried LP et coll. qui, pour dépister la fragilité, préconisent de rechercher une perte de poids involontaire, une faiblesse, une diminution de l'endurance et de l'énergie, une lenteur et une diminution de l'activité physique. Le Dr Christophe Trivalle nous avait expliqué, en mai 2014, utiliser dans son service de gériatrie un questionnaire de dépistage rapide français, voir cet article / vidéo
** La "Robustesse" définit des patients autonomes (pas de dépendance), en bon état général, avec pas ou peu de comorbidités. 

Que feriez-vous face à Mme T., 89 ans, hypertendue et traitée par trithérapie ?
Les auteurs, pour illustrer leur message sur la nécessaire adaptation du traitement antihypertenseur après 80 ans, proposent 4 cas cliniques. Nous en avons traduit un (leur étude publiée dans le JAMA est en anglais et n'est malheureusement pas en libre accès pour le moment) :

 
Mme T. 89 ans, dépendante et placée en institution, souffre d'une hypertension, d'une altération cognitive modérée, d'ostéoporose et d'arthrose. Son ordonnance comporte : carvédilol 65 mg x 2/j, lisinopril 20 mg/j, hydrochlorothiazide 12,5 mg/j, 100 mg/j, paracétamol 1g x 3/j, aspirine 100 mg/j et calcium/Vitamine D 1000 mg/880 UI une fois par jour.
A l'examen, sa pression artérielle (PA) est à 110/68 mm Hg sans hypotension orthostatique.
Faut-il adapter son traitement ?
Réponse de Benetos A et coll. : ces chiffres tensionnels, bas pour cet âge, sont à haut risque de chute donc de fractures, vu l'ostéoporose de Mme T. Il faut donc réduire le traitement antihypertenseur (carvédilol, lisinopril, hydrochlorothiazide) pour atteindre une cible de PA systolique entre 150 et 140 mm Hg, en retirant progressivement une molécule ou plus selon la réaction cardiovasculaire.
En l'absence de risque cardiovasculaire clairement identifié, l'anti-aggrégant plaquettaire (aspirine à faible dose) peut également être retiré, en l'absence de signes cliniques manifestes d'athérosclérose.

Par ailleurs, la supplémentation vitaminique D est appropriée et bénéfique, mais la supplémentation calcique ne doit être associée que si son apport alimentaire est insuffisant.
Enfin, le paracétamol devrait être réévalué en fonction des douleurs réelles de la patiente.
 
En synthèse
La méta-analyse de Benetos A et coll. n'a identifié qu'une étude randomisée effectuée chez des octogénaires hypertendus, plutôt en bonne santé. Cette étude montre un bénéfice net du traitement médicamenteux antihypertenseur en termes de prévention de l'insuffisance cardiaque et de réduction de la mortalité toutes causes confondues.
 
Mais elle ne tient pas compte de la "vraie vie", dans laquelle de nombreux octogénaires hypertendus présentent des fragilités, des comorbidités plus ou moins lourdement traitées.
 
En pratique, les auteurs, spécialisés en gériatrie, préconisent chez ces patients fragilisés une évaluation gériatrique globale effectuée par une équipe pluridisciplinaire, afin d'ajuster au mieux une éventuelle prise en charge médicamenteuse d'une hypertension artérielle.
 
Pour en savoir plus :
La méta-analyse de Benetos A et coll.
Polypharmacy in the Aging Patient - Management of Hypertension in Octogenarians, Athanase Benetos, Patrick Rossignol, Antonio Cherubini, Laure Joly, Tomasz Grodzicki, Chakravarthi Rajkumar, Timo E. Strandberg et Mirko Petrovic, JAMA, 14 juillet 2015
 
L'étude HYVET 
Treatment of Hypertension in Patients 80 Years of Age or Older, Beckett NS et coll., NEJM, mai 2008
 
Les recommandations de la SFHA
Prise en charge de l'hypertension artérielle de l'adulte, Jacques Blacher et coll., Société française d'hypertension artérielle (SFHA), janvier 2013.

L'étude de Fried LP et coll. sur la déifition et la recherche de la fragilité chez les plus âgés :
Frailty in older adults: evidence for a phenotype, Fried LP et coll., The journals of gerontology. Series A, Biological sciences and medical sciences,  septembre 2000
 
Sur Vidal.fr :
VIDAL Reco Hypertension artérielle
Lutte contre la iatrogénie en EHPAD : comment mieux sécuriser et améliorer la gestion des médicaments ? (juin 2015)
Prévalence de la polymédication chez les personnes âgées en France : enquête de l'IRDES (février 2015)
Le 1er Prix VIDAL Hôpital attribué au programme MEDISIS d'accompagnement thérapeutique des seniors (février 2015)
Villa du Tertre (EHPAD) : des approches non médicamenteuses omniprésentes (janvier 2015)
Vieillissement, fragilité, dépendance, Alzheimer... : entretien avec le Dr Christophe Trivalle, gériatre (mars 2014)

Commentaires

Ajouter un commentaire
En cliquant sur "Ajouter un commentaire", vous confirmez être âgé(e) d'au moins 16 ans et avoir lu et accepté les règles et conditions d'utilisation de l'espace participatif "Commentaires" . Nous vous invitons à signaler tout effet indésirable susceptible d'être dû à un médicament en le déclarant en ligne.
Les plus récents
Les plus récents Les plus suivis Les mieux votés
Modérateur Il y a 8 ans 0 commentaire associé
Bonjour Tiguan 2012, Il n'y a pas de classe plus recommandée que les autres, ce qui est recommandé c'est de débuter, si l'hypertension est confirmée et au-dessus de 160 disons, par un seul médicament, à choisir en fonction d'éventuels autres traitements, pathologies, etc. Par exemple, un diurétique thiazidique ou apparenté (ciclétanine, hydrochlorothiazide, indapamide et méthyclothiazide). Bien à vous
Fan74000 Il y a 8 ans 0 commentaire associé
Très intéressant comme résultat Merci de nous détailler l étude Cordialement Dr CHINE
Fan74000 Il y a 8 ans 0 commentaire associé
Quelle est par contre la classe thérapeutique la plus recommence pour ces patients plus de 80 annees Cordialement bien à vous et merci Dr CHINE.
lucgerbau07 Il y a 8 ans 0 commentaire associé
B A Ba de la gériatrie
Pour recevoir gratuitement toute l’actualité par mail Je m'abonne !
Presse - CGU - Données personnelles - Politique cookies - Mentions légales - Contact webmaster