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Mycophénolate et risque tératogène : appel à l'amélioration des nouvelles mesures de précaution

Afin de tenter de diminuer le risque de malformations foetales liées à la prise du mycophénolate (CELLCEPT et génériques, MYFORTIC) pendant la grossesse, l’ANSM a modifé en octobre 2015 les conditions de prescription et de délivrance de ce médicament antirejet à risque tératogène.

Les patients concernés, en âge de concevoir un enfant, doivent notamment utiliser une contraception "hautement efficace" et signer tous les 6 mois un formulaire d’accord de soins pour obtenir leur traitement. Afin d'aider les professionnels de santé et les patients à appliquer ces nouvelles conditions, l'ANSM a également édité un guide Professionnels de santé et un guide Patients

Renaloo, association de patients atteints d’insuffisance rénale, vient d’adresser un courrier à l’ANSM s’étonnant de ces exigences contraceptives (contraception "hautement efficace", avec double contraception chez la femme) et de leurs particularités. Renaloo demande notamment à connaître les bases scientifiques à l’origine de l’exigence de cette "double contraception" ou abstinence,  et s'interroge sur les motivations de ces mesures. 

En sus de ces interrogations, l'association regrette  la méthode employée pour élaborer ces documents, sans 
concertation avec les représentants des patients greffés, alors qu'il s'agit d'un traitement à prendre à vie et que la greffe peut représenter le seul espoir pour avoir un enfant un jour.

A l'inverse, l'association souhaiterait un dialogue, des explications pédagogiques conduisant à une décision éclairée et une responsabilisation partagée, notion qui devrait s'appliquer à beaucoup de prises en charge thérapeutiques, mais dont la nécessité est encore plus forte avec ce type de traitement tératogène à prendre à vie. 
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Les femmes greffées et en âge de procréer doivent désormais signer un formulaire d'accord de soins pour obtenir le mycophénolate (illustration).

Les femmes greffées et en âge de procréer doivent désormais signer un formulaire d'accord de soins pour obtenir le mycophénolate (illustration).


Le mycophénolate, un médicament antirejet fortement tératogène
L'acide mycophénolique (mycophénolate) est un médicament antirejet utilisé dans la prise en charge de greffes rénales, hépatiques ou cardiaques. C'est un tératogène majeur qui augmente le risque d'avortements spontanés et de malformations congénitales comparé aux autres immunosuppresseurs.

Une revue cumulative des données d'exposition observées depuis une quinzaine d'années chez des femmes traitées par mycophénolate a montré un taux de 45 à 49 % d'avortement spontanés (comparé à un taux de 12 à 33 % rapporté chez les patientes traitées par d'autres immunosuppresseurs).

De plus, un taux de 23 à 27 % de malformations a été rapporté chez les patientes exposées au mycophénolate pendant la grossesse, comparé à un taux de 4 à 5 % chez les patientes traitées par d'autres immunosuppresseurs (dans la population générale le taux de malformation rapporté est de 2 à 3 %).

Les patients concernés par le risque tératogène du mycophénolate sont les femmes enceintes, les femmes susceptibles de procréer et les partenaires féminines d'hommes traités par mycophénolate (dont ceux ayant eu une vasectomie).

Face à ces risques, l'EMA recommande d'accentuer les précautions chez les personnes en âge de procréer
L'EMA (agence européenne du médicament) a émis en octobre 2015 de nouvelles recommandations pour réduire le risque de tératogénicité. 

Ces recommandations, qui comportent notamment la préconisation d''
utilisation simultanée de deux méthodes de contraception fiables" chez les femmes en âge de procréer sous mycophénolate, ont ensuite été déclinées par l'ANSM en France. fin 2015. 

De nouvelles règles de prescription et de délivrance du mycophénolate édictées par l'ASNM
L'ANSM a donc publié en novembre 2015 de nouvelles recommandations concernant la prescription et la délivrance du mycophénolate (voir notre article). Sont désormais exigés :
  • un test de grossesse négatif avant la prescription initiale, pouvant être répété tout au long du traitement si cela est jugé cliniquement pertinent (règles irrégulières, mauvaise adhésion à la contraception) ;
  • pour la forme orale, une prescription hospitalière tous les 6 mois, le renouvellement pouvant être fait par un médecin de ville entre temps (la forme injectable est uniquement hospitalière) ;
  • une "double contraception efficace" chez les femmes en âge de procréer recevant du mycophénolate, "à moins que l'abstinence ne soit la méthode de contraception choisie" ;
  • l'usage du préservatif chez les hommes traités, associé à un mode de contraception chez leur partenaire féminine ;
  • la signature par le patient et le prescripteur hospitalier, tous les 6 mois, d'un Formulaire d'accord de soins dont la copie devra être présentée pour obtenir chaque délivrance du médicament.

Intégration de ces mesures de précaution dans le RCP des médicaments contenant du mycophénolate
Ces recommandations ont également été intégrées dans les mentions légales des médicaments commercialisés en France et contenant du mycophénolate (ex : rubrique Fertilité / grossesse / allaitement de MYFORTIC 360même rubrique de CELLCEPT 500).

Edition de deux guides d'information par l'ANSM, mise en place d'un formulaire d'accord de soins
Afin de compléter cette information et de formaliser la délivrance du mycophénolate, l'ANSM a donc édité, en avril 2016, deux guides d'information et un formulaire d'accord de soins.

Or n
i le guide sur la prescription de mycophénolate destiné aux professionnels de santé publié par l'ANSM, ni le guide destiné aux patients qui reçoivent du mycophénolate, également publié par l'ANSM, ne détaillent davantage les exigences contraceptives requises : quels contraceptifs "hautement efficaces" utiliser ? Que faire en cas de grossesse non désirée ?  Pourquoi, lorsque c'est un homme qui est traité, ne faut-il pas de double contraception hautement efficace ? Que faire en cas de grossesse débutante ? Etc. 
 
Renaloo réagit à ces mesures exceptionnelles par une lettre à l'ANSM
Pourquoi aucune concertation avec les patients ? Quelles bases scientifiques pour ces recommandations ? 
Surprise par ces nouvelles recommandations et guides conçus sans concertation avec les associations de patients, Renaloo, association de personnes souffrant d'insuffisance rénale, a adressé une lettre à l'ANSM dans laquelle elle s'étonne du mode d'élaboration de ce dispositif sans participation des patients visés, mais aussi des nouvelles recommandations sur la double contraception qui semblent ne reposer sur aucune base scientifique :
"Il nous semble essentiel que les patientes concernées obtiennent la garantie qu'elles reposent sur un risque avéré et sur la démonstration que le recours à un seul moyen de contraception efficace     est  insuffisant. Existe-t-il des données françaises apportant ces preuves, prouvant que l'information actuellement délivrée aux patientes est insuffisante, ou encore montrant que des méthodes contraceptives considérées comme efficaces dans la population générale le sont moins chez les femmes sous mycophénolate ?".

Les conséquences de ces conditions ont-elles été bien prises en compte ? Pourquoi ces conditions sont-elles plus drastiques que pour d'autres médicaments potentiellement tératogènes ? 
Outre ce flou scientifique, Renaloo s'inquiète des conséquences des nouvelles conditions de délivrance du médicament par le pharmacien (le formulaire d'accord signé tous les 6 mois) et de l'absence de prise en compte par les autorités de l'impact de ce principe de précaution maximal sur la vie des patients. Par ailleurs, pourquoi seules les femmes doivent-elles signer cet accord, alors que les hommes sous mycophenolate doivent aussi se protéger ? 

Renaloo interroge aussi l'ANSM sur la variabilité des recommandations pour des médicaments de tératogénicité équivalente (valproate de sodium et isotrétinoïne, par exemple). 

Pourquoi accentuer l'information et les exigences d'intégration de cette information pour la seule tératogénicité ? 
L'association demande à l'ANSM pourquoi les autres effets indésirables potentiellement graves (en particulier infectieux, oncogènes, cardio-vasculaires) du mycophénolate, comme des autres traitements antirejets, ne font pas l'objet des mêmes précautions (information renforcée, accord stipulant que ces informations ont été intégrées) ?

Est-ce à cause de la possibilité de contraception efficace pour empêcher la grossesse, ou bien ce dispositif "vise t-il principalement à protéger les industriels et les autorités de santé d'éventuels recours des patients (ou de leurs partenaires / enfants) en cas de survenue d'un accident médicamenteux ?".


Demande de révision du dispositif, de suspension du formulaire et d'analyse du possible risque de baisse de la fertilité sous mycophénolate
Dans sa lettre, l'association Renaloo demande donc à l'ANSM la révision de ce dispositif et la suspension du conditionnement de la délivrance du mycophénolate à la présentation du formulaire d'accord de soins au pharmacien.

Sa directrice générale, Yvanie Caillé, nous précise que globalement, "ce dispositif donne l'impression que les autorités de santé considèrent les patientes concernées comme des êtres non responsables". Cette déresponsabilisation "nécessite de leur imposer une signature pour pouvoir survivre" (NDLR : grâce à la délivrance par le pharmacien du mycophénolate). 

En résumé, cette démarche, selon l'association Renaloo, va à l'encontre de la décision partagée et éclairée pour favoriser l'adhésion au traitement et à ses contraintes, 

Enfin, sur la base d'une étude américaine qui suggère une diminution importante et durable de la fertilité des femmes traitées par mycophénolate, Renaloo demande également à l'ANSM de se saisir de ce sujet, afin qu'une information adaptée des patientes puisse, le cas échéant, être délivrée en amont du démarrage du traitement.
 
En conclusion 
Cette interpellation des autorités de santé soulève la question de la responsabilisation des patients sur certaines prises en charge thérapeutiquesdélicates  qui, certes, sauvent leurs vies mais impactent aussi très fortement leur quotidien, leurs espoirs, leur futur tout simplement. 

Souhaitons donc que l'ANSM réponde à l'interpellation de Renaloo pour mieux préciser ces exigences contraceptives, ce qui pourra aider le prescripteur, le délivreur et le patient à gérer au mieux ce traitement antirejet, en réduisant les risques, mais en prenant aussi en considération la vie avec ce traitement des patients greffés. 

 
Pour aller plus loin
Le communiqué de l'EMA, en anglais, récapitulant l'ensemble des mesures d'information, prescription et délivrance préconisées pour diminuer le risque de malformation foetale avec le mycophénolate (octobre 2015)

Point d'information de l'ANSM "Mycophénolate (Cellcept® et génériques et Myfortic®) : nouvelles contre-indications et mesures de prévention de la grossesse en raison du risque important de tératogénicité" (novembre 2015)

Le guide de l'ANSM sur la prescription du mycophénolate à destination des professionnels de santé (avril 2016)
 
Le guide de l'ANSM sur la prescription du mycophénolate à destination des patients (avril 2016)
 
Le formulaire d'accord de soins que patients et médecins devront signer tous les 6 mois (avril 2016)

La lettre de Renaloo à l'ANSM à propos des nouvelles recommandations sur le mycophénolate (mai 2016)

L'étude américaine sur les effets durables du mycophénolate sur la fertilité féminine
Gill, J. S., Zalunardo, N., Rose, C., & Tonelli, M. « The pregnancy rate and live birth rate in kidney transplant recipients. » American Journal of Transplantation, 9(7), 1541-1549, 2009.

Sur VIDAL.fr : 
MYFORTIC, CELLCEPT et génériques (mycophénolate) : nouvelles contre-indications (novembre 2015)
Médicaments à base de mycophénolate : point d'information sur les risques tératogènes et rappel des précautions d'emploi (juin 2015)

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