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Baclofène et dépendance alcoolique : un surrisque probable d'apnées sévères du sommeil à prendre en compte

L'Inserm a mis en évidence chez 4 utilisateurs du baclofène un lien entre la prise de ce médicament à haute dose (posologie pour traiter une dépendance à l'alcool) et la survenue d'apnées du sommeil.

Les 4 hommes inclus dans cette étude, publiée dans la revue CHEST, ont reçu jusqu'à 190 mg de baclofène par jour pour traiter une dépendance à l'alcool. Tous ont présenté une somnolence diurne, des ronflements et des épisodes de suffocation nocturne. Une polysomnographie a confirmé le diagnostic d'apnées sévères du sommeil

De plus, l'évolution a été positive chez un des patients après l'arrêt du traitement, signant le lien direct entre la prise de baclofène à haute dose et la survenue de ces apnées sévères.  

L'ensemble de ces observations confirme donc le risque d'apnées sévères du sommeil baclofène-induite chez les utilisateurs de ce médicament, à haute dose, risque qui était évoqué dans la RTU (recommandation temporaire d'utilisation) élaborée en 2014 par l'ANSM.

Pour les auteurs de l'Inserm, les résultats de cette étude doivent inciter à une vigilance
encore plus grande des prescripteurs, sans cependant remettre en question le traitement par baclofène : chez les patients pour lesquels le baclofène s'avère efficace, des moyens thérapeutiques appropriés, tels qu'une ventilation assistée, peuvent en effet être envisagés pour pallier cet effet indésirable et poursuivre le traitement. 
David Paitraud 09 juin 2016 Image d'une montre6 minutes icon Ajouter un commentaire
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Pour traiter les apnées sévères du sommeil, de l'air à pression positive continue peut être délivré la nuit par l’intermédiaire d'un masque, ce qui maintient les voies aériennes supérieures ouvertes (illustration).

Pour traiter les apnées sévères du sommeil, de l'air à pression positive continue peut être délivré la nuit par l’intermédiaire d'un masque, ce qui maintient les voies aériennes supérieures ouvertes (illustration).


L'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) a publié dans la revue CHEST une étude de 4 cas d'apnée sévère du sommeil, réalisée chez des hommes traités par baclofène dans le cadre de la prise en charde d'une dépendance alcoolique (voir  VIDAL Reco "Alcool : sevrage").

Des symptômes évocateurs d'une apnée du sommeil iatrogénique
Les 4 hommes recevaient jusqu'à 190 mg par jour de baclofène (rappel : une dose élevée est recommandée dans cette indication) et se plaignaient tous de symptômes évoquant une apnée du sommeil : somnolence diurne, ronflements, suffocation nocturne (voir VIDAL Reco "Apnée obstructive du sommeil").

Plusieurs tests confirment le diagnostic d'apnée du sommeil
Une polysomnographie (enregistrement complet du sommeil permettant d'évaluer l'activité cérébrale, cardiaque, respiraoire et musculaire), la mesure de la saturation du sang en oxygène et la mesure de la somnolence diurne, marqueur indirect de l'apnée du sommeil, par l'échelle de somnolence d'Epworth ont été effectués.

Les examens des résultats de ces examens, comparés à ceux de patients sans apnée du sommeil (et sans prise de baclofène), ont permis de confirmer ce diagnostic et d'évaluer la sévérité du syndrome chez ces patients. 

Une apnée sévère : les arrêts respiratoires nocturnes constatés étaient très fréquents 
Jusqu'à 100 interruptions respiratoires et 40 micro-éveils par heure ont été enregistrés.

Fréderic Gagnadoux, professeur de pneumologie au CHU d'Angers, co-auteur de l'étude et interrogé par l'Inserm, qualifie cette forme d'apnée du sommeil de "centrale", c'est-à-dire résultant d'une perturbation du contrôle de la ventilation par le système nerveux central.

Pas de co-facteurs retrouvés pouvant expliquer cette apnée et cette sévérité

Les auteurs ont recherché des causes médicales et physiologiques chez ces 4 patients pouvant expliquer ces résultats : maladies cardiaques, neurologiques, usage de médicaments opiacés, de benzodiazépines, recherche d'une hypocapnie, d'une hypoxémie chronique (liée à une BPCO par exemple), etc.  

Aucun des 4 patients ne présentait ces facteurs de risques qui auraient pu expliquer la survenue de ces apnée et leur sévérité. Cela renforce donc la présomption de lien direct entre leur survenue et la prise de baclofène. 

Un patient arrête de lui-même son traitement... et confirme le lien direct entre baclofène et apnées du sommeil
Un patient a arrêté précocemment la prise de baclofène à haute dose, qu'il jugeait inefficace pour contrer sa dépendance alcoolique. 

Résultat : son apnée du sommeil a complètement disparu, apportant une "confirmation définitive", en déduit le Pr Fréderic Gagnadoux, qui conclue à une apnée du sommeil baclofène-induite

Cette étude confirme le risque évoqué dans la RTU baclofène de 2014
Pour les auteurs, cette étude est la première à démontrer un lien direct entre baclofène à haute dose (traitement de la dépendance alcoolique) et apnée sévère du sommeil dans le cadre d'un traitement de la dépendance alcoolique, confirmant la pertinence de sa mention page 7 de la RTU établie en 2014 par l'ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé).

Un risque à préciser par de nouvelles études
Des études de plus grande ampleur sont cependant indispensables pour comprendre les mécanismes sous-jacents de ce risque et caractériser davantage son ampleur. 

Mécanisme en cause : la piste du GABA
Les auteurs soulignent qu'une hypothèse est déjà proposée pour expliquer ce lien : en renforçant l'action d'un neurotransmetteur (le GABA), "le baclofène semble perturber le contrôle de la ventilation par le système nerveux central, altérant ainsi le rythme respiratoire nocturne".

En pratique : ne pas arrêter le baclofène, mais plutôt tenter de traiter les apnées nocturnes pour faciliter la poursuite du traitement
Les résultats de cette étude mettent donc l'accent sur un effet indésirable identifié du baclofène lorsqu'il est utilisé en traitement de la dépendance alcoolique, c'est-à-dire à des posologies supérieures à celles recommandées dans l'AMM

Cette étude ne remet pas en cause l'intérêt de ce traitement chez les patients alcooliques, précisent les auteurs, mais doit inciter les médecins à accroître leur vigilance sur la possibilité de survenue d'apnées nocturnes. 

Ils rappelent que si une apnée du sommeil est découverte, il faut vite la traiter en raison des retentissements importants sur la qualité de vie (somnolence, fatigue, irritabilité, troubles de mémoire, stress, etc.). Ils ont d'ailleurs mis les 3 patients restants de l'étude sous ventilation assistée nocturne, ce qui a été efficace pour 2 d'entre eux et leur a permis de continuer leur traitement dans de meilleures conditions. 

En conclusion : un risque à prendre en compte et une piste de recherche
Cette étude a donc confirmé que les hautes doses de baclofène exposaient à un risque d'apnées du sommeil, à dépister et à traiter.

Par ailleurs, les auteurs soulignent que le nombre de personnes prenant du baclofène dans cette indication est en forte augmentation, ce qui devrait donc aussi augmenter la survenue d'apnées sévères du sommeil.

Ils appellent donc à réaliser d'autres études non seulement pour affiner la connaissance de cet effet indésirable, mais aussi sa prise en charge thérapeutique.  

Pour mémoire : le baclofène et la dépendance alcoolique
En 2014, une RTU a été accordée au baclofène sous forme orale (LIORESAL 10 mg comprimé sécable et BACLOFENE ZENTIVA 10 mg comprimé) dans les indications suivantes : 
  • aide au maintien de l'abstinence après sevrage chez les patients dépendants à l'alcool et en échec des autres traitements disponibles ;
  • réduction majeure de la consommation d'alcool jusqu'au niveau faible de la consommation telle que défini par l'OMS chez des patients alcoolo-dépendants à haut risque et en échec des traitements disponibles.

Le traitement par baclofène dans la dépendance alcoolique est prescrit selon un schéma posologique progressif :
  • 5 mg 3 fois par jour pendant 2 à 3 jours
  • 20 mg pendant 2-3 jours
  • puis 25 mg pendant 2-3 jours
  • puis 30 mg (2-3 jours) 
  • puis 10 mg supplémentaires tous les 3 jours jusqu'à l'apparition de l'effet du baclofène

La dose maximale quotidienne de baclofène est de 300 mg. 

Les posologies de baclofène dans le traitement de la dépendance alcoolique sont généralement plus élevées que dans le traitement de la spasticité musculaire (indication de l'AMM). Par conséquent, les patients sont davantage exposés au risque d'effets indésirables.

Pour aller plus loin
Severe Central Sleep Apnea Associated With Chronic Baclofen Therapy: a case series (Chest, mai 2016)
Communiqué : Le baclofène pourrait provoquer des apnées du sommeil (Inserm, 31 mai 2016)
Recommandation temporaire d'utilisation (RTU) du baclofène dans l'alcoolo-dépendance (ANSM, 14 mars 2014)

Sur VIDAL.fr : 
Baclofène et dépendance alcoolique : 1 an après la RTU, un premier bilan encourageant (25 mars 2015)
Baclofène : l'utilisation dans les troubles du comportement alimentaire "formellement déconseillée" par l'ANSM (24 décembre 2014)
RTU baclofène : intérêt, modalités, gestion des restrictions et des posologies préconisées - interview du Dr Renaud de Beaurepaire, pionnier français de l'utilisation du baclofene dans cette indication (mai 2014)
 

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