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Dépendance aux opiacés : étude de l’intérêt de la buprénorphine délivrée par un implant sous-cutané

Selon les données de l’OFDT, entre 160 000 et 180 000 Français se sont fait prescrire un traitement de substitution aux opiacés (héroïne, morphine, codéine) en 2013.
 
Les données de l’Assurance Maladie montrent que les deux tiers de ces prescriptions substitutives sont de la buprénorphine à haut dosage (SUBUTEX en comprimés sublinguaux), et un tiers de la méthadone (voir VIDAL Reco "Dépendance aux opiacés -traitement de substitution")
 
Mais l'efficacité de la buprénorphine sublinguale comme traitement substitutif en cas de dépendance aux opiacés reste limitée par l’observance précaire, l'abus et le détournement qui en est fait.
 
Afin de tenter d’améliorer cet observance et de diminuer les abus et détournements, la FDA (agence du médicament américaine) a autorisé, le 26 mai 2016, la commercialisation d’un implant sous-cutané délivrant de la buprénorphine.
 
Mais cet implant est-il réellement plus efficace que la forme sublinguale ? Afin d’en savoir plus, Richard Rosenthal et ses collaborateurs américains ont réalisé une étude clinique randomisée, contrôlée, en double aveugle, versus placebo (comprimés ou implants placebo) auprès de 177 personnes dépendantes.
 
Les résultats, publiés dans le JAMA et détaillés dans l’article ci-dessous, sont encourageants, montrant notamment une abstinence supérieure et maintenue plus longtemps dans le groupe "implants" par rapport au groupe "buprénorphine sublinguale".
 
Ces résultats demandent cependant confirmation auprès d’autres populations, plus diversifiées et plus larges pour affirmer l’utilité de cette nouvelle approche du traitement d’une addiction ravageuse.
Claire Lewandowski 01 septembre 2016 Image d'une montre7 minutes icon Ajouter un commentaire
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Capture d'écran d'une animation montrant le positionnement d'un implant de buprénorphine (Probuphine).

Capture d'écran d'une animation montrant le positionnement d'un implant de buprénorphine (Probuphine).


La dépendance aux opiacés, une maladie chronique difficile à traiter
La dépendance aux opiacés (héroïne, morphine, codéine) est une maladie chronique qui touche environ 180 000 Français (et 2,5 millions d'Américains).
 
Cette dépendance nécessite une prise en charge globale : le traitement de substitution aux opiacés (TSO) "substitue" mais ne remplace pas la drogue. Une fois passée l'euphorie de la disparition du manque, un traitement de substitution nécessite des efforts importants de la part du patient. La prise en charge, aussi globale que possible, doit donc aussi se centrer sur le travail de motivation.
 
De plus, l'utilisation de buprénorphine ou de méthadone expose à des risques de détournement d'usage (voir notre article sur l'interpellation de l'Académie de Médecine à ce sujet), de manque d'observance, mais aussi à des risques d'accidents domestiques d'intoxication involontaire, (enfants).
 
La recherche concernant la rémission à long terme est encore très limitée.
 
L'efficacité de l'implant de buprénorphine testée pour la troisième fois, cette fois-ci versus buprénorphine sublinguale
Deux études de phase 3, publiées en 2010 et 2013, ont mis en évidence une efficacité supérieure de l'implant de buprénorphine par rapport au placebo dans le maintien de l'abstinence après 6 mois (1,2).
 
Le but de ce nouvel essai est de comparer, pour la première fois, l'implant de buprénorphine et la buprénorphine sublinguale, pendant 6 mois, dans un groupe de patients dépendants aux opiacés, stabilisés, et traités par une dose d'entretien de buprénorphine depuis plusieurs mois.
 
177 patients auparavant abstinents sous buprénorphine sublinguale, ont été traités par implant de buprénorphine ou en sublingual pendant 6 mois
Cette étude clinique randomisée, contrôlée, en double aveugle, versus placebo, publiée en fin juillet 16 dans le JAMA, a été menée pendant 26 semaines auprès d'une population représentative de patients américains dépendants aux opiacés.
 
Tous les participants ont été recrutés en ambulatoire, dans 21 centres américains entre Juin 2014 et mai 2015.
 
Les 177 patients (âgés en moyenne de 39 ans, dont 59,1 % d'hommes) étaient, avant l'étude, traités quotidiennement par une posologie de buprénorphine sublinguale pouvant aller jusqu'à 8 mg par jour depuis au moins 24 semaines.
 
Ils étaient abstinents depuis au moins 90 jours, et ont été jugés cliniquement stables par leur médecin depuis plus de 6 mois. Les femmes enceintes, ou en cours d'allaitement, et les personnes ayant une contre-indication physique à la pose de l'implant ont été exclues.
 
L'analyse a été réalisée en intention de traiter. Les participants ont donc été randomisés en deux groupes :
  1. le premier groupe (n=90) traité par la buprénorphine sublinguale et qui s'est fait poser un implant placebo constitué de 4 bâtonnets placebo insérés en sous-cutané (partie supérieure du bras).
  2. le second (n=87), reçoit un placebo sublingual et 4  batonnets sous-cutanés de chlorhydrate de buprénorphine à 80 mg (délivrée au fur et à mesure pendant 6 mois).
 
Evaluation : non infériorité en terme de réponse à la buprénorphine, de maintien et à la durée de l'abstinence et de gestion des symptômes de manque
Le critère principal d'évaluation est la différence de proportion de répondeurs dans chaque groupe, définie par une abstinence d'au moins 4 mois.

Des tests urinaires aléatoires, recherchant de la codéine, morphine, hydrocodone, oxymorphone, hydromorphone, oxycodone, méthadone et fentanyl, mais aussi de la cocaïne, des barbituriques, amphétamines, de la phencyclidine, et du tétrahydrocannabinol ont été réalisés plusieurs fois pendant l'étude pour identifier les personnes reprenant des opiacés malgré leur traitement substitutif.

Une auto-évaluation concernant l'usage d'opiacés et d'autres stupéfiants a aussi été recueillie. Lorsque 2 analyses d'urine et l'auto-évaluation étaient négatives pour les opiacés dans le mois de référence, l'évaluation d'une éventuelle reprise de consommation était considérée comme négative.
 
Les critères d'évaluation secondaires évaluent le pourcentage cumulé d'abstinence d'après les tests urinaires, et la durée avant la première utilisation d'opiacés. Le craving pour les opiacés, les symptômes de manque, et une utilisation supplémentaire de buprénorphine sublinguale ont également été mesurés. La sécurité des médicaments est évaluée par l'analyse des événements indésirables.
 
Résultats : davantage d'abstinents dans le groupe "implants"
Au total, 165 patients (93,2 %) ont terminé l'étude, 84 dans le groupe "buprénorphine sublinguale" et 81 dans le groupe "implant de buprénorphine".
 
Au bout de 4 mois, dans le groupe "buprénorphine sublinguale", 87,6 % (78 sur 89) ont été répondeurs et 96,4 % (80 sur 84) dans le groupe "implant". Une différence de 8,8 % (p <0,001 pour la non-infériorité) a donc été observée.
 
Après 6 mois de traitement, l'abstinence cumulée est de 85,7 % (soit 72 personnes sur 84) dans le groupe "implants", contre 71,9 % (soit 64 sur 89) dans le groupe "sublinguale" (différence : 13,8 % ; p = 0.03) :
 
 
 
Par rapport à la buprénorphine sublinguale, une plus grande proportion de patients traités par les implants de buprénorphine a donc été abstinente au cours des 6 mois de traitement. Cette différence significative est apparue dés le 3ème mois, et s'est maintenue jusqu'à la fin de l'étude.
 
Un délai allongé avant une éventuelle reprise de la consommation d'opiacés "illicites" (hors buprénorphine)
La durée avant la première utilisation d'opiacés (rechute identifiée par une positivité des urines) est significativement plus longue dans le groupe traité par les implants de buprénorphine (+ 61 % ; IC 95% [03 – 75 %] ; p = 0,04) :
 
 
 
Autant de craving et de symptômes de manque dans les deux groupes
Le craving (besoin ressenti comme "irrépressible" de reprendre des opiacés) est resté identique entre les deux groupes pendant toute la durée de l'étude, de même pour les symptômes de manque.

Une dose de buprénorphine sublinguale supplémentaire était autorisée si besoin dans les deux groupes. Au total, 17,9 % des patients du groupe "implant" et 14,6 % du groupe "sublinguale" ont pris ces doses supplémentaires (p > 0,05). La plupart des doses étaient inférieures à 2 mg.
 
Des résultats logiques en termes de tolérance
Des événements indésirables graves ont été rapportés pour cinq participants, trois dans le groupe "buprénorphine sublinguale" (colique hépatique, cholécystite chronique et bronchite) et deux dans le groupe "implant" (convulsions et aggravation d'un trouble bipolaire). De plus, une exposition pédiatrique accidentelle a eu lieu dans le groupe "buprénorphine sublinguale".
 
Les implants sont logiquement associés à une incidence plus élevée d'événements indésirables locaux. Par contre, un effet secondaire redouté, la migration de l'implant en dehors du site d'insertion sous-cutanée, n'est survenu chez aucun des participants.
 
En conclusion : des résultats intéressants, à confronter à ceux d'études plus vastes, avec une population plus variée
Dans cette étude, les implants de buprénorphine ont montré une efficacité au moins égale à la buprénorphine sublinguale sur l'abstinence à long terme (85,7 % contre 71,9 %). En outre, cette abstinence apparait plus tôt chez les usagers traités par l'implant.
 
L'implant semble aussi entraîner une meilleure observance, limiter le détournement d'usage habituel avec la forme sublinguale et limiter les risques d'exposition accidentelle pédiatrique. De plus, La majorité des participants n'a pas eu besoin de buprénorphine sublinguale supplémentaire, ni rapporté de manque, ce qui confirme les résultats des études préliminaires contre placebo (1,2).  
 
Les auteurs soulignent cependant que la population étudiée a montré un taux de réponse exceptionnellement élevé dans le groupe contrôle. Ce résultat s'explique par un biais de sélection (population blanche, éduquée et stabilisée). D'autres études sont donc nécessaires dans de plus grandes populations et des contextes différents pour confirmer l'efficacité de l'implant.
 
La Food and Drug Administration (FDA) a approuvé en mai 2016 la commercialisation du PROBUPHINE (implant de buprénorphine) dans cette indication, considérant son utilisation efficace sur une durée d'au moins 6 mois et toujours en relais d'un traitement sublingual. Cet implant n'est pas commercialisé, pour le moment, en France.
 
En savoir plus :
L'étude randomisée en double aveugle objet de cet article :
Rosenthal RN, Lofwall MR, Kim S, Chen M, Beebe KL, Vocci FJ. « Effect of Buprenorphine Implants on Illicit Opioid Use Among Abstinent Adults With Opioid Dependence Treated With Sublingual Buprenorphine: A Randomized Clinical Trial. » JAMA. 19 juillet 2016 ; 316 (3) : 282-90.
 
Les deux premières études vs placebo :
  1. Ling W, Casadonte P, Bigelow G, et al. « Buprenorphine implants for treatment of opioid dependence: a randomized controlled trial. » JAMA. 2010 ; 304 (14) : 1576-1583.
  2. Rosenthal RN, Ling W, Casadonte P, et al.  « Buprenorphine implants for treatment of opioid dependence: randomized comparison to placebo and sublingual buprenorphine/naloxone. » Addiction. 2013 ; 108 (12) : 2141-2149.
 
Le rapport OFDT – ANSM sur le traitement de substitution aux opiacés :
Les traitements de substitution aux opiacés en France : données récentes, Anne-Claire Brisacier et Cédric Collin, OFDT, octobre 2014
 
Sur VIDAL.fr :
VIDAL Reco "Dépendance aux opiacés -traitement de substitution"
Substitution aux opiacés : l'Académie de médecine dénonce un mésusage et des détournements, la Fédération Addiction s'insurge (juillet 2015)
Etude (USA) : la coprescription d'opiacés et de cannabis augmente-t-elle la consommation de substances psychoactives ? (juin 2015)

 
Sources

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