#Recherche

Cellules souches "STAP" : un des co-auteurs demande le retrait de la publication dans Nature

Nous vous avions relaté le 31 janvier 2014 la découverte d’une nouvelle méthode (un simple bain acide) pour produire des cellules souches, multipotentes, appelées STAP. Cette découverte prometteuse de l'équipe de Haruko Obokata (Centre Riken) a été publiée dans la revue scientifique Nature.

Mais  depuis, ces résultats ont été contestés : l’expérience serait difficile ou impossible à reproduire.  Par ailleurs, il y aurait eu des erreurs au niveau des illustrations des deux articles, faisant soupçonner une possible manipulation.

Résultat, le Dr Teruhiko Wakayama, chercheur au Centre Riken et un des co-auteurs de l’étude, demande à Haruko Obokata de retirer les deux articles publiés dans Nature. Une demande cependant contestée par un autre co-auteur, Charles Vacanti (chercheur en ingénierie tissulaire, Harvard), pour qui la technique reste valable.

Le point sur un imbroglio scientifique, point qui sera mis à jour en fonction des développements ultérieurs.  

Edit 2 avril :
Le comité d'enquête du Centre Riken pointe deux anomalies dans la publication d'Haruko Obokata et coll., avec en particulier un doute sur une falsification des images présentées (voir le communiqué). Shunsuke Ishii, qui a dirigé ce comité d'enquête, accuse directement Haruko Obokata de "manipulation". Cette dernière, "outrée et choquée", maintient que ses résultats sont valables et va déposer un appel à RIken contre les conclusions de ce rapport. C'est seulement après cet appel que d'éventuelles "mesures disciplinaires" seront prises à son encontre et qu'un retrait des articles de Nature sera demandé. Par ailleurs, il faudra encore "plusieurs mois" pour que les équipes de Riken puissent déterminer la reproductibilité de cette technique, dont il n'est pas exclu qu'elle soit efficace. 


Edit 2 juillet 2014 :
Nature procède au retraits des deux articles incriminés. Les auteurs s'excusent. Lire notre article sur ce retrait
11 mars 2014 02 juillet 2014 Image d'une montre6 minutes icon Ajouter un commentaire
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Ces cellules souches, photographiées par Haruko Obokota et son équipe (© Riken center for developmental biology), ont-elles bien été obtenues suite à un simple bain d'acide ?

Ces cellules souches, photographiées par Haruko Obokota et son équipe (© Riken center for developmental biology), ont-elles bien été obtenues suite à un simple bain d'acide ?


Une méthode qui pourrait faciliter l'utilisation des cellules souches en médecine…
Les cellules souches pourraient un jour permettre de réparer des organes endommagés, voire de les remplacer. Leur obtention à partir d'embryons ("cellules souches embryonnaires") est contestée, d'où la recherche d'autres méthodes d'obtention, cette fois-ci à partir de cellules adultes.

En 2006, le Dr Shinya Yamanaka (Japon) a réussi à créer des cellules pluripotentes induites (iPS), ce qui lui a valu le Prix Nobel de médecine en 2012. Mais cette méthode, qui repose sur l'insertion de gènes spécifiques, est compliquée et donc, pour le moment, difficile à utiliser à grande échelle (faible rendement).

C'est pourquoi la publication des travaux de l'équipe de Haruko Obokata fin janvier 2014 a fait l'effet d'une "bombe" scientifique : il serait possible, selon ces travaux, d'obtenir un certain nombre de cellules souches en plongeant un grand nombre de cellules adultes dans une solution légèrement acide (voir notre article pour plus de précisions).

…Mais une méthode beaucoup plus difficile à reproduire que prévu
Afin de vérifier la validité de cette technique, Nature a interrogé 10 scientifiques  "de premier plan" ayant tenté de la reproduire. Résultat, aucun n'y est parvenu. Le site d'un laboratoire de cellules souches, ipscell.com, a fait de même : 8 tentatives se sont soldées par un échec, 1 seule semble donner des résultats faiblement positifs.

Mais Nature souligne le 17 février que toutes ces tentatives n'ont pas utilisé les mêmes types de cellules qu'Obokata et coll. De plus, il semblerait que le protocole soit plus compliqué à mettre en œuvre que prévu, ce qui pourrait expliquer la difficulté à reproduire les mêmes résultats.

C'est pourquoi les auteurs ont publié, le 5 mars, 28  conseils techniques pour aider les chercheurs à reproduire leur expérience (choix des cellules, âge, support, etc.) : "malgré son apparente simplicité, cette méthode nécessite des soins particuliers. Mais elle est tout à fait reproductible", a affirmé Hitoshi Niwa à Nature.  Ce chercheur précise qu'un protocole complet est en cours d'écriture et sera disponible d'ici un mois.

Par ailleurs,  l'auteur correspondant de cette étude, le Dr Charles Vacanti (Harvard Medical School), a déclaré début février au New Scientist avoir réussi à obtenir des cellules STAP à partir de cellules humaines (fibroblastes), même s'il est encore trop tôt pour savoir si elles ont le même potentiel que celles obtenues à partir de cellules de souris.

A l'heure actuelle, il semble donc que ce protocole puisse éventuellement marcher, mais soit bien moins simple et facile à mettre en œuvre qu'annoncé initialement…

Une manipulation des illustrations ?
Dans la publication originale, un tableau aurait été inversé (figure 1i) : les chiffres ne correspondraient pas au texte. Deux images semblent également identiques. Selon Charles Vacanti, "il semble que ce soit une erreur de bonne foi qui n'a aucune incidence sur les données, les conclusions ou toute autre partie de l'article". Pour Teruhiko Wakayama, qui a pris les photos des placentas incriminées, il s'est peut-être produit une confusion (il avait envoyé plus de 100 photos).

Mais un autre soupçon a émergé : une photographie illustrant l'article proviendrait en fait de la thèse de doctorat d'Obokata publiée en 2011.

Vers un retrait des articles publiés dans Nature ?
Plagiat et/ou manipulation des images, protocole beaucoup plus complexe que prévu, reproduction difficile des résultats…  Cela fait beaucoup d'anomalies, alors même que la recherche sur les cellules souches avait été entachée, en 2006, par la condamnation à 2 ans de prison du chercheur sud-coréen Hwang Woo-suk (falsification de travaux sur le clonage de cellules humaines et animales).

Pour Teruhiko Wakayama, cela fait en tout cas beaucoup trop de doutes : il déclare le 10 mars à Reuters USA ne plus être certain de la justesse de ses propres résultats et demande le retrait de l'étude en raison d'"erreurs cruciales". Il souhaiterait ensuite une republication, "avec des données et photos correctes".

Mais pour Charles Vacanti, "quelques erreurs ont été faites, mais elles n'affectent pas les conclusions . Sur la base des informations dont je dispose, je ne vois aucune raison pour laquelle ces documents doivent être retirés", relate le Wall Street Journal. Il s'est déclaré surpris qu'un des co-auteurs ait demandé le retrait.

En conclusion… provisoire
La nouvelle technique d'obtention de cellules souches décrite par Obakata et coll. est-elle trop belle pour être vraie ?
- Oui, selon une partie de la communauté scientifique et un des co-auteurs (Teruhiko Wakayama), qui s'appuient sur la non-reproductibilité apparente des résultats et des soupçons de manipulations des illustrations de l'article.
- Non, selon un autre co-auteur, le Dr Vacanti, qui a également affirmé "qu'il serait très triste de retirer un document d'une telle importance en raison de la pression des pairs, alors qu'en fait les données et les conclusions sont honnêtes et valables".

Nature et l'Institut Riken (dont proviennent plusieurs co-auteurs) continuent à enquêter sur ces travaux, ce qui devrait permettre d'être bientôt fixé sur leur pertinence (approximations involontaires ? Triche délibérée ? Etc.). Cela aboutira, ou non, à un retrait de ces articles. Un tel retrait pourrait avoir des conséquences lourdes sur la recherche dans ce domaine, sur la crédibilité du Centre Riken et sur celle de la revue Nature.

En parallèle, l'équipe d'Haruko Obokata travaille sur un "protocole complet" qui permettra peut-être à d'autres équipes de reproduire leurs résultats.

A suivre…

Jean-Philippe Rivière

Chronologie et liens (en anglais sauf mention) :
- En 2005-2006, Hwang Woo-suk berne la communauté scientifique internationale en falsifiant des travaux sur le clonage de cellules humaines. Fiche Wikipedia en français
- Le 30 janvier 2014, les deux articles originaux sont publiés, in extenso, dans Nature (Obokata H et coll.) : "Stimulus-triggered fate conversion of somatic cells into pluripotency" et "Bidirectional developmental potential in reprogrammed cells with acquired pluripotency"
- Le 5 février, le Dr Vacanti, interrogé par le New Scientist, déclare avoir réussi à obtenir des cellules type STAP à partir de fibroblastes humains : "Extraordinary stem cell method tested in human tissue"
- En février, le blog du laboratoire de cellules souches Knoepfler collige une dizaine d'expériences tentées par d'autres chercheurs. Seule une, menée par Yoshiyuki Seki, semble donner des résultats positifs. Cette page d'ipscell.com récapitule les 10 retours.
- Le 17 février, Nature se fait l'écho des soupçons de scientifiques sur les résultats : "Acid-bath stem-cell study under investigation"
- Le 5 mars, l'équipe d'Obokata publie des conseils techniques, publication également relayée par Nature : "Acid-bath stem-cell team releases tip sheet"
- Le 10 mars, Teruhiko Wakayama déclare à Reuters USA "ne plus être certain de ce qui est juste" et appelle au retrait des deux articles : "Scientist urges withdrawal of his own 'breakthrough' stem cell research"
- Le même jour, le Dr Vacanti estime que ces erreurs ne sont pas si cruciales et qu'il ne faut pas retirer les articles : "Japanese Institute Weighs Retracting Stem-Cell Studies" (Wall Street journal)
- Nature relaie, également le meme jour, cette demande de retrait : "Call for acid-bath stem-cell paper to be retracted"
- le 1er avril, conférence de presse de RIKEN, qui conffirme les soupçons de manipulation des résultats et continue à enquêter sur cette technique : "Report on STAP Cell Research Paper Investigation"
- artilce de Japantoday, en anglais, suite à cette conférence de presse, incluant les réactions de l'auteur principal, directement désigné comme responsable des anomalies de cette publication : "RIKEN says stem cell research was falsified"

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