#Santé publique

Explosion du numérique santé : comment mieux l'utiliser et l'accompagner ? Interview du Dr Jacques Lucas

Les utilisations des outils numériques en santé explosent depuis une vingtaine d'années : informatisation des hôpitaux, des cabinets médicaux, émergence d'un web santé logiciel, éditorial, scientifique mais aussi communautaire, social, place croissante des algorythmes, des datas, accélération immense du partage des savoirs...

Le Dr Jacques Lucas, cardiologue libéral, vice-président du Conseil national de l’Ordre des médecins et délégué général aux systèmes d’information en santé, réagit à ces changements et propose des rapprochements, des débats pour mieux tirer partie de ces nouveaux outils et usages, professionnels ou non.

Vous pouvez accéder, via cette page de Vidal.fr, aux 4 autres vidéos issues de notre entretien avec Jacques Lucas.
18 juillet 2014 Image d'une montre5 minutes icon Ajouter un commentaire
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VIDAL : Le monde d'aujourd'hui est devenu numérique. Comment les médecins doivent-ils aborder cette nouvelle ère ?
Jacques Lucas : Aujourd'hui, je suis tout à fait convaincu qu'Hippocrate lui-même porterait des appréciations de nature éthique, et donc secondairement déontologiques, par rapport au monde dans lequel nous vivons. Hippocrate avait soustrait la médecine de la puissance des Dieux. Ce ne sont pas les Dieux qui rendent malades ou qui punissent par la maladie. De même aujourd'hui, il ne faut pas diviniser Internet ou le numérique non plus, mais constater qu'il peut contribuer puissamment à la relation médecin-patient.
 

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Alors le numérique ne résout pas tout bien sûr ! Lorsque je suis, récemment, allé à Mayotte, j'ai constaté les très grandes difficultés rencontrées par les médecins, que ce soit en ville, où ils sont très peu nombreux, ou à l'hôpital, où ils ne sont pas suffisamment nombreux. J'y ai bien sûr évoqué le numérique santé, et la télémédecine en particulier. On m'a répondu que ce n'était pas le problème. On m'a dit qu'il fallait plutôt faire venir des médecins à Mayotte. Je n'ai rien contre le fait que l'on ramène des médecins à Mayotte, mais la question que nous nous posons, c'est de savoir comment.  Sur ce sujet, nous avons rencontré le Ministère de la Santé, le Ministère des Outre-Mer et même des représentants du sommet de l'état, au niveau du Premier Ministre et du Président de la République. Pourtant, nous n'avons pas fait de communiqué de presse !
 
VIDAL : L'informatisation du cabinet médical est-elle source de simplifications ou de complications au quotidien ?
Jacques Lucas : Les médecins ne nous ont pas attendus pour s'impliquer dans l'informatisation de leurs dossiers. On voit bien actuellement que la plupart des jeunes médecins ne veulent pas prendre une succession ou continuer de faire des remplacements dans un cabinet qui n'est pas informatisé. Donc ils souhaitent être informatisés pour leurs dossiers médicaux, plutôt que d'être sur des documents papier. Ils s'en sont tous aperçus, certes après une phase d'apprentissage pour les plus anciens…

Mon cabinet est informatisé et il a fallu un certain temps, bien que relativement bref, pour que je passe du papier au numérique : pendant une quinzaine de jours, il faut se réapproprier l'outil numérique qui change notre mode de fonctionnement. J'ai un exercice spécialisé, mais je crois que c'est aussi la même chose en médecine générale : on s'aperçoit très vite que l'informatisation des dossiers permet de gagner du temps lorsque cette informatique est maîtrisée. Après les premiers balbutiements sur les logiciels médicaux, il y en a maintenant qui intègrent les bases médicamenteuses, qui permettent d'avoir des logiciels d'aide à la prescription (et font partie de la ROSP, sur laquelle je m'exprimerai : voir cette vidéo) et qui ont amélioré la vie des médecins.
 
VIDAL : Pensez-vous que l'intelligence collective médicale peut contribuer, via internet, à améliorer le système de santé?
Jacques Lucas : L'intelligence collective, elle existe mais elle a un petit timbre légèrement élitiste en ce moment :  ce n'est pas parce qu'une idée va se répandre, notamment par les réseaux sociaux, qu'elle est forcément bonne. Et ce n'est pas non plus parce que le plus grand nombre dit que cette idée est bonne qu'elle l'est nécessairement. Par contre, il faut "cueillir" cette idée, il faut la respecter mais aussi la prendre comme un matériel de travail, s'en servir pour un débat public, cette fois organisé. Cela permettrait d'aboutir à des conclusions effectivement démocratiques,  et non aboutir à des conclusions "populaires", au sens émotionnel ou passionnel.

La démocratie en général et la démocratie sanitaire en particulier supposent une organisation méthodologique du débat, à la condition évidemment que la méthode ne soit pas organisée de telle façon que la conclusion soit déjà écrite avant que la tenue du débat. Nous connaissons bien les modèles de débat participatif nécessaires : ce ne doit pas forcément être celui qui crie le plus fort qui a raison. Ce n'est pas non plus forcément celui qui ne dit rien et n'en pense pas moins qui a raison, donc il faut que ce modèle soit organisé très librement.
 
VIDAL : Du côté du grand public, un savoir médical "profane" se développe avec internet. Comment les décideurs peuvent-ils davantage en tenir compte ?
Jacques Lucas : L'idéal serait que les "clercs" qui détiennent des clés, des méthodes, des situations de prise de décision (je ne dis pas le pouvoir, mais des situations de prise de décision), se rapprochent le plus possible de la société civile. Il faut donc que les organisations professionnelles des médecins, dont l'Ordre, qui est l'organe de régulation, se rapprochent de la société civile. De même, il faut également la présence de la société civile dans ces processus de concertation. Pour cela, il faudrait qu'elle soit mieux organisée et qu'il y ait des associations représentatives, qui sont souvent des associations militantes, de patients ou d'usagers…

Ces associations se sont souvent créées sur le militantisme, qui est du coup une force productive puisque il s'agit d'un engagement bénévole destiné à faire bouger les lignes. C'est vrai partout, les organisations syndicales, c'est finalement la même chose. Les associations de patients se sont quand même professionnalisées, ont évolué dans leur réflexion, ne sont pas du tout en position d'hostilité, en tout cas pas vis-à-vis de l'Ordre. Cela ne veut pas dire que nous nous disons que des courtoisies, mais nous ne sommes pas dans une position d'hostilité de pratique. C'est ainsi que pour le monde que vous décrivez [NDLR : le développement depuis 15 ans de l'accessibilité du grand public au savoir médical et aux échanges de pairs par le biais du web santé], les choses peuvent évoluer.
 
VIDAL : Que pourrait-on attendre d'une coopération renforcée avec les patients et leur utilisation collective d'internet ?
Jacques Lucas : Avec une telle coopération, l'intelligence collective ne serait plus une intelligence brouillonne et inorganisée mais il en émergerait des indicateurs, à travers l'observation des forums, de ce qui est aujourd'hui sur Internet, des réseaux sociaux. À travers l'observation neutre et bienveillante, au sens de l'attitude que doit finalement avoir le médecin par rapport à un patient. Cette attitude est empathique, neutre et bienveillante, elle n'est pas prédéterminée. Il faut donc observer des indices. Parfois, il y a des bruits de fond qui peuvent être très ténus mais qui pourtant peuvent avoir un signifiant très important [NDLR : par exemple, repérage d'un effet indésirable très rare]. Donc il est important de les repérer, puis ensuite de les ordonner, de les métaboliser pour qu'il en découle des utilisations concrètes pour la société. En ce sens, je suis d'accord avec l'intelligence collective. Mais il ne faut pas non plus que cette intelligence puisse être utilisée, détournée par des manipulations sur les masses. La meilleure façon d'éviter les manipulations, c'est d'organiser suffisamment précisément les débats pour que le manipulateur soit très vite repéré et que nous ne nous retrouvions pas dans "une société de dévots".
 
Propos recueillis le 18 juillet 2014 au siège du Conseil national de l'Ordre des médecins (Paris).

En savoir plus : 
Créer la confiance  dans le numérique  en santé (fichier PDF), Bulletin d'information de
l'Ordre national des médecins, janvier - février 2013
Sources

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