#Santé publique

Emmanuel Hirsch : les Espaces éthiques sont des lieux d’accompagnement des évolutions de la médecine

Le Pr Emmanuel Hirsch a co-fondé, avec Alain Cordier le le Pr Didier Sicard, le premier Espace éthique en 1995. Depuis cette date, il dirige cet Espace, situé à l'hôpital Saint-Louis (Paris). 

Dans cet extrait de l'entretien qu'il nous a accordé le 29 septembre 2014, Emmanuel Hirsch revient sur les objectifs et rôles de ce premier Espace, désormais devenu celui de l'Ile-de-France (des Espaces éthiques se sont ouverts dans différentes régions depuis début 2012). 


Vous pouvez accéder, via cette page de Vidal.fr, aux 5 autres vidéos issues de notre entretien avec Emmanuel Hirsch.
09 octobre 2014 Image d'une montre5 minutes icon Ajouter un commentaire
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Hôpital Saint Louis, siège du 1er Espace éthique (© Henry Salomé, Creative Commons, Wikipedia).

Hôpital Saint Louis, siège du 1er Espace éthique (© Henry Salomé, Creative Commons, Wikipedia).


VIDAL : Vous avez co-fondé le 1er espace éthique à l'AP-HP en 1995. Quelle était l'idée initiale ?
Emmanuel Hirsch : Il y a une diversité d'approches de l'éthique : les sociétés savantes se préoccupent par exemple de plus en plus des questions d'éthique. Nous avons cherché un moyen pour qu'il y ait un lieu où les gens dialoguent ensemble, identifient les vraies questions de l'éthique hospitalière et du soin et non uniquement l'éthique médicale en soi. Finalement, nous étions déjà dans l'émergence du "Care" dont il est souvent question aujourd'hui. La direction de l'Espace éthique m'a d'ailleurs été confiée à l'époque par Alain Cordier, conseillé sur le plan médical par Didier Sicard, alors que je ne suis pas médecin, mais plutôt d'une formation philosophique. Notre challenge, en quelques années, n'était pas de faire "le lieu d'éthique à l'AP/HP", mais de proposer un lieu "ressources" où les gens puissent partager et inventer ensemble un certain nombre d'approches plus soucieuses des droits de la personne.
 
C'est pour cela que nous étions tout à fait en phase avec les évolutions matérialisées par la loi du 4 mars 2002 sur le droit des malades et la qualité du système de santé, puis la loi du 22 avril 2005 sur le droit des malades en fin de vie. Le tout sans aucune démagogie : le professionnel est reconnu dans sa compétence, dans son rôle propre et sa responsabilité de décider.
 

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VIDAL : Comment mettre en place une "approche plus soucieuse des droits de la personne" ?
Emmanuel Hirsch : Ce qui nous intéresse c'est la prise de décision collégiale : comment argumente-t-on une décision ? De quelle manière la personne malade cherche-t-elle à reprendre une certaine forme de pouvoir sur sa maladie (compétence, ou "empowerment", dont on parle beaucoup aujourd'hui) ?  Comment une expertise peut-elle être reconnue à la fois à la personne malade et à ses proches, expertise  qui n'est pas celle du médecin mais qui peut participer à l'approche médicale ou soignante ? Bref, nous nous intéressons aux nouvelles alliances et nouvelles légitimités se constituent.
 
VIDAL : Ces "nouvelles alliances" progressent-elles dans le système de soins actuel ?
Emmanuel Hirsch : Quasiment 20 ans après la création de l'espace éthique de l'AP/HP, nous observons que d'abord, la personne malade est surtout une personne vulnérable, souvent déjà dépendante de la maladie et non uniquement du système de soin.  Nous observons également que le système de santé a évolué et s'est souvent aussi précarisé. Donc nous avons aussi des professionnels de santé en situation de vulnérabilité, ne serait-ce que par rapport à la complexité des savoirs, à la judiciarisation de certaines pratiques, par rapport à des regards différents qui ne sont pas uniquement médicaux et qui interviennent dans les décisions, et par rapport à des évolutions qui sont quasiment de l'ordre du paradigme : lorsque l'on observe par exemple la médecine personnalisée, nous voyons que nous nous dirigeons vers de nouveaux champs.
 
VIDAL : Que peut apporter un espace éthique face à cette évolution du système de santé ?
Emmanuel Hirsch : Nous allons être confrontés, de plus en plus, à des personnes atteintes de maladies au long cours, de maladies chroniques dans une société qui, d'une certaine manière, se désocialise : elle n'apporte pas aujourd'hui les réponses auxquelles aspire une personne malade, en termes de solidarité. Donc dans cet environnement, il est intéressant d'avoir une espèce de laboratoire, à la fois observatoire et laboratoire d'idées, qui ne soit pas critique vis-à-vis des professionnels, mais qui soit propositionnel, au sens propre du terme. Il fallait aussi que ce laboratoire puisse accompagner les professionnels dans une dimension de recherche universitaire : très rapidement, nous avons mis en place des enseignements.

C'était un défi, dans ce milieu professionnel, de développer comme nous l'avons fait des enseignements universitaires d'éthique, qui vont des masters aux doctorats en passant par les DU (Diplômes d'Université) : DU sur les pratiques au quotidien du soin, DU sur la question du deuil. Les masters visent à véritablement susciter de la part des professionnels une démarche d'appropriation de la question d'éthique.
 
VIDAL : L'éthique est-elle une affaire de spécialistes ?
Emmanuel Hirsch : Ce n'est pas une affaire de spécialistes. Nous ne croyons pas aux "éthiciens". Il existe des tendances assez lourdes aujourd'hui, calquées notamment sur le modèle anglo-saxon, visant à créer des structures d'éthique qui seraient un peu comme les Samu : vous avez un problème, vous faites venir l'éthicien. Nous, nous sommes totalement à l'opposé de cette démarche, de cette tendance. Nous pensons que le droit prédomine : nous sommes dans un espace de droit. D'ailleurs les questions posées à l'espace éthique (qui est devenu l'espace éthique de la région Île de France depuis un an) sont des questions plutôt juridiques : les gens n'ont pas la compétence pour véritablement décider au nom d'une argumentation juridique, donc nous les dirigeons vers les services juridiques compétents.
 
Les questions éthiques, finalement, sont des questions "limites", donc beaucoup de services les anticipent. La vraie question, c'est de quelle manière un service est-il en capacité d'anticiper des dilemmes éthiques ? Et aujourd'hui, que vous soyez en cancérologie, en gériatrie ou en génétique, il y a très peu d'espaces du soin qui n'ont pas produit eux-mêmes leurs propres instances de délibération, qui n'organisent pas des staffs d'éthique. Donc c'est une injure faite aux professionnels que de leur dire "faites appel à des éthiciens".
 
VIDAL : A quoi servent alors les Espaces éthiques ?
Emmanuel Hirsch : Nous occupons une fonction de relais. Les Espaces éthiques peuvent aussi apporter aux décideurs un certain nombre d'éléments et d'argumentations. Mais nous ne sommes en aucun cas un lieu de décision : depuis notre création en 95 (nous sommes le premier espace éthique), nous n'avons jamais sorti le moindre texte de décision : nous accompagnons une évolution.
 
VIDAL : Avec quels types d'acteurs du système de santé travaillez-vous ?
Emmanuel Hirsch : Depuis 20 ans, il serait plutôt intéressant de noter qui n'est pas venu à l'Espace éthique... Ce qui nous semblait important, c'était déjà d'accueillir dans un espace éthique hospitalier les hospitaliers en général : les personnes malades, les associatifs, qui ont quelquefois des objectifs difféents de ceux des personnes malades elles-mêmes, et tous les professionnels hospitaliers. Cela va du jardinier de l'unité de soins palliatifs jusqu'à l'administratif qui s'occupe de l'accueil. Chacun a une fonction dans la chaîne du soin.
 
VIDAL : Pourquoi vous êtes-vous investi comme philosophe à l'hôpital ?
Emmanuel Hirsch : J'aurais pu continuer une activité confortable et universitaire sans me confronter à cette réalité, qui est finalement assez peu valorisante : il y a mieux à faire quand on fait de la philosophie que de la faire sur le terrain. Mais lorsque je vois ce qu'est cette réalité du quotidien, réalité à laquelle je suis confronté ou que je partage avec des professionnels, je dis que c'est un bonheur extraordinaire que d'avoir cet Espace éthique, qui est pour moi très rassérénant. 

Propos recueillis le 29 septembre 2014 à l'Espace éthique de la région Ile-de-France, CHU Saint Louis, Paris
 
En savoir plus : 
Le site de l'Espace éthique de la région Ile-de-France
Le site personnel d'Emmanuel Hirsch
Sources

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