#Santé publique

Autonomie des patients et des professionnels : quelle modernisation ?

Depuis une vingtaine d’années, l’accent a été mis sur l’amélioration de l’autonomie des patients atteints d’une maladie chronique, invalidante, grave. Mais cette amélioration a-t-elle été vraiment bien pensée ? Quid de l’autonomie des professionnels de santé, dont les capacités, prises de décision semblent parfois mises en doute, notamment par les institutions ?

L’éclairage d’Emmanuel Hirsch, professeur de philosophie et directeur de l’Espace éthique de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris.

Vous pouvez accéder, via cette page de Vidal.fr, aux 5 autres vidéos issues de notre entretien avec Emmanuel Hirsch.
16 octobre 2014 Image d'une montre6 minutes icon Ajouter un commentaire
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Emmanuel Hirsch souligne l'importance prise par les outils numériques pour améliorer l'autonomie des personnes lourdement affectées (illustration).

Emmanuel Hirsch souligne l'importance prise par les outils numériques pour améliorer l'autonomie des personnes lourdement affectées (illustration).

 
VIDAL : Pensez-vous que des progrès ont été effectués sur l'autonomisation des patients ?
Emmanuel Hirsch : Avec la loi du 4 mars 2002 sur le droit des malades et la qualité du système de santé et surtout dans les années SIDA, on nous a beaucoup parlé du principe d'autonomie, avec le malade au cœur du soin, avec l'aidant qui doit se mobiliser pour lui. Mais le principe d'autonomie m'a beaucoup frappé car on a exalté une autonomie de la personne malade, alors que je ne vois pas en quoi elle est vraiment autonome. Et ce même s'il peut être tenté de tout faire pour la respecter dans ses choix, y compris quand une personne n'est plus en capacité de discernement (par exemple en cas de maladie d'Alzheimer qui prive la personne de sa capacité délibérée).

Dans ces cas, on peut privilégier son sentiment, en essayant de comprendre à quoi cette personne était attachée et quelles étaient ses valeurs, pour associer dans la décision ce qu'elle a été (et qu'elle demeure quelque part profondément), sans qu'elle soit en capacité de consentir. Donc on peut aller très loin dans une approche respectueuse de la personne et de ce que serait une autonomie, y compris lorsqu'elle ne l'est pas.
 

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VIDAL : Et l'autonomie des professionnels de santé ?
Emmanuel Hirsch : Ce qui me frappe énormément, c'est que les professionnels, qui doivent assumer des responsabilités lourdes de conséquences et souvent dans la solitude, sont de moins en moins autonomes pour le faire. C'est-à-dire qu'ils sont de moins en moins reconnus dans leur intelligence de délibération, y compris lorsqu'il faut parfois prendre un risque. Donc nous sommes dans une espèce d'idéologie de la précaution, non pas au sens précautionneux du terme, mais dans le sens de l'empêchement de toute expression de ce que nous souhaiterions pour l'autre, y compris en cas de prise de risques. Ce sont des éléments qui me paraissent tout à fait interrogeables aujourd'hui : si vous considérez que vous avez des personnes que vous exposez à la vulnérabilité de l'autre pour essayer de trouver des réponses même précaires, il faut leur donner les moyens de trouver ces réponses.

Or aujourd'hui, on fait tout pour les entraver dans cette dimension : un discours péjoratif sur ce qu'ils sont, sur ce qu'ils font. On nous parle des coûts de la santé, beaucoup plus que de la valeur de la santé. Ces professionnels de santé, dans leur pratique quotidienne, sont finalement assez maltraitées par les institutions. Ce ne sont pas les institutions que je remets en cause en tant que personnes, ce sont des mécanismes, des logiques et des renoncements.
 
VIDAL : Comment recentrer l'action publique sur cette "valeur de la santé" ?
Emmanuel Hirsch : De mon expérience, il serait beaucoup plus simple qu'on le pense de réhabiliter, de redonner une certaine forme de cohésion et de dynamique qui serait finalement beaucoup plus favorable que tout investissement effectué dans ce domaine. C'est-à-dire qu'il faudrait, avec les moyens financiers déployés, arriver à remotiver les gens autour de valeurs communes et leur montrer à quel point ils comptent pour la société. Je trouve que c'est un enjeu politique fondamental.

Si demain j'étais ministre de la santé (alors que je n'en ai pas la compétence), je passerais ma journée sur le terrain, j'irais voir les uns et les autres et je me contenterais de leur dire "vous savez, ce que vous faites, c'est super.  Vous pourriez encore faire mieux. Regardez ce qui se passe à gauche et à droite". Et je serais uniquement dans l'interrelation. Je n'aurais certainement pas un discours qui serait un uniquement technocratique ou administratif, ce qui, finalement, donne le sentiment que les réponses se situent là où elles ne se situent pas.
 
VIDAL : L'usage socialisant d'internet a-t-il été suffisamment été intégré par le système de santé ?
Emmanuel Hirsch : Lorsque je présidais l'association nationale sur la sclérose latérale amyotrophique (je l'ai fait pendant 4 ans), nous avions mis en place des lits dédiés pour les personnes atteintes en raison de l'évolutivité, la lourdeur de la maladie. Tous les établissements n'ont pas la possibilité de prendre en soins une personne. Et donc je vais à l'inauguration d'un lit dédié et quelqu'un me fait observer "mais où est l'arrivée Internet ?" Cela m'a énormément frappé. Tout avait été pensé : le lit, les fonctions, la disponibilité de la pièce, l'environnement, etc. Et nous avions oublié le lien avec l'Internet, alors qu'aujourd'hui les personnes malades, avec toutes les nouvelles technologies, peuvent être en contact avec le monde, être en relation les uns avec les autres. Alors que je suis assez aguerri à ces questions, je n'étais peut-être pas assez aguerri à la dimension que les nouvelles technologies peuvent apporter : elles redonnent de la liberté, de l'aisance, de l'existence, de l'appartenance à des personnes atteintes de maladies graves, même lorsqu'e ces maladies sont très "mutilantes" par rapport aux capacités relationnelles.
 
VIDAL : Les nouvelles technologies vont-elles également aider à préserver l'autonomie ?
Emmanuel Hirsch : Dans l'approche de la maladie d'Alzheimer ou des maladies qui touchent à la dépendance, équiper un domicile et un environnement avec des technologies me paraît être un enjeu fondamental. Tout en respectant, notamment parce que les évolutions technologiques le permettent, la dimension de la sphère du privé, c'est-à-dire être très respectueux de la personne. Donc nous voyons qu'il y a certaines logiques à respecter avec ces équipements, notamment parce que le risque de laisser la personne à domicile, qui laisserait le gaz ouvert, qui ferait une chute... Tous ces éléments sont à prendre en compte et nous constatons l'existence de réponses, aujourd'hui, en termes de technologies. Et je ne parle pas de la silver econonomy, je parle de la technologie du quotidien, pour les personnes dans des situations de dépendance, qui peuvent préserver très longtemps une autonomie. Et avec le bienfait, aussi, de se retrouver reconnu dans quelque chose de moderne.
 
VIDAL : Qu'est-ce que cette jonction avec la modernité actuelle peut leur apporter ? 
Emmanuel Hirsch : Dans la dignité de la personne, être de ce monde, avec sa modernité, avec toutes ces technologies qui, d'une certaine manière, font que chacun d'entre nous se retrouve un peu flatté d'y avoir accès et se retrouve un peu avec des capacités auparavant perdues ou jamais acquises…. Tous ces éléments, à mon avis, doivent être bien reposés et je trouve que donner de la visibilité (et redonner à tous ces industriels, toutes ces initiatives aussi la possibilité d'être rentables, c'est-à-dire en constituant des réseaux pour que tout cela rentre dans l'ordinaire), modifie pour beaucoup ce qu'est la condition d'une une personne dans une forme de handicap telle qu'on se la représente.
 
VIDAL : Que faudrait-il faire pour moderniser l'approche des questions les plus délicates ? 
Emmanuel Hirsch : La succession d'approches insatisfaisantes, à un moment donné, justifierait peut-être que tout soit remis à plat, domaine par domaine. Et qu'on se dise aussi "arrêtons"… On nous parle de la modernisation de la société : modernisons-nous aussi en repensant, non pas avec des pensées d'hier mais avec des pensées d'aujourd'hui, avec tous les acquis des nouvelles technologies, avec une certaine modernité, avec une autre manière de penser les choses.
 
Si nous arrivions à cette lisibilité et à cette approche plus en vérité, en humanité, qu'en structures et en administratif, peut-être qu'un certain nombre de questions, qui nous semblent aujourd'hui insurmontables, nous paraîtraient alors accessibles à des transformations beaucoup plus évidentes et beaucoup plus tangibles. C'est-à-dire que ce fatras de complexité, ajouté aux représentations péjoratives, à nos peurs, à nos angoisses, à nos fantasmes fait que nous nous trouvons dans des situations qui semblent absolument incoercibles, impénétrables et qui nous confinent à une fatalité là où nous devrions remettre de la créativité et de l'audace.
 
VIDAL : Comment les espaces éthiques peuvent-ils contribuer à une approche plus humaine ?
Emmanuel Hirsch : La réflexion que je mène sur ces choses est une réflexion qu'on peut mener sur le politique en général. Et c'est là où on peut dire que ce sont des questions politiques, et non éthiques. Donc je serais amené à dire, finalement, qu'un espace éthique est peut-être surtout un espace politique. Pour évaluer un espace éthique, nous avons un certain nombre d'items, il y a tout un ensemble d'éléments qui doivent contribuer à l'évaluation de l'espace éthique. Mais pour moi, c'est un espace où la parole retrouve de sa liberté et de sa dignité et, à un moment donné, devient pertinente et recevable, y compris par les décideurs. Si c'est uniquement pour être spéculatif, je ne pense pas que ce soit très intéressant.
 
 
Propos recueillis le 29 septembre 2014 à l'Espace éthique de la région Ile-de-France, CHU Saint Louis, Paris.
 
En savoir plus :
Le site de l'Espace éthique de la région Ile-de-France
Le site personnel d'Emmanuel Hirsch
Sources

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