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Le Prix Nobel de Médecine 2015 remis à 3 chercheurs ayant révolutionné le traitement de 3 grandes maladies parasitaires

Le Prix Nobel de Médecine 2015 récompense deux innovations médicamenteuses majeures contre trois des pires maladies parasitaires sévissant essentiellement dans les zones tropicales africaines, indiennes et américaines.  

William Campbell (USA) et Satoshi Õmura (Japon) ont permis des avancées décisives sur la prise en charge de l’onchocercose ("cécité des rivières") et de la filariose lymphatique (également appelée "éléphantiasis"), avec la découverte de l’avermectine. Cette substance, d’origine bactérienne, est devenue le précurseur d’une nouvelle classe d’antiparasitaires très efficaces, dont l’ivermectine, massivement utilisée dans le monde depuis les années 80.

Youyou Tu (Chine) a, de son côté, isolé de la pharmacopée chinoise ancestrale un extrait végétal, l’artémisinine, qui s’est avéré très efficace contre les parasites responsables du paludisme, seul puis en association. 

L’onchocercose, la filariose lymphatique et le paludisme touchent des centaines de millions de personnes et causent des dizaines de milliers de décès chaque année, rappelle l’Assemblée Nobel de l’Institut Karolinska, qui a donc décidé de l'attribution de ce Prix en raison de l'impact majeur de ces découvertes sur la santé des populations les plus pauvres de la planète.
06 octobre 2015 Image d'une montre8 minutes icon Ajouter un commentaire
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Le Prix Nobel de médecine 2015 récompense trois chercheurs ayant permis des avancées décisives sur le traitement de trois des pires maladies tropicales, le paludisme, la cécité des rivières et l'éléphantiasis.

Le Prix Nobel de médecine 2015 récompense trois chercheurs ayant permis des avancées décisives sur le traitement de trois des pires maladies tropicales, le paludisme, la cécité des rivières et l'éléphantiasis.


L'onchocercose, ou "cécité des rivières"
Plus d'un milliard d'humains transporteraient des vers intestinaux, également appelés nématodes (Ascaris lumbricoides, Ancylostoma duodenale, Trichurus, Strongyloïdes stercoralis ou anguillule, filaires dont l'Onchocerca volvulus, la filaire de Bancroft, responsable de l'éléphantiasis, et la Loa loa), le plus souvent transmis par des vecteurs.

L'onchocercose est due à une infestation par le ver filaire Onchocerca volvulus, qui sévit essentiellement en Afrique centrale et en Amérique centrale. Ce ver se transmet par l'intermédiaire de piqûres de mouches (des "simulies") préalablement infectées en ayant piqué un sujet porteur. Ces mouches se reproduisent dans les ruisseaux et rivières. 

Les larves injectées sous la peau de l'hôte humain mûrissent en vers, qui peuvent vivre jusqu'à 18 ans dans les intestins de leur hôte humain, puis s'accouplent et se multiplient, formant des nodules sous-cutanés. 

Les manifestations cliniques sont provoquées par les embryons de microfilaires, libérés massivement dans le corps par le ver. Lorsque ces larves sont sous la peau, elles suscitent des sensations de démangeaisons intenses, des lésions et dépigmentations. Lorsqu'elles migrent pour atteindre l'œil, elles provoquent une inflammation, des lésions de la cornée puis une cécité, d'où le nom de "cécité des rivières" pour cette maladie qui sévit essentiellement en Afrique sub-saharienne, mais aussi au sud de l'Asie, en Amérique du Sud et centrale.

Au moins 25 millions de personnes seraient affectées, dont 300 000 devenues aveugles.
 
La filariose lymphatique, ou "élephantiasis"
 La filariose lymphatique est une infection du système lymphatique causée par des vers parasites de la famille des Filariodidea (Wuchereria bancrofti, Brugia Malayi ou Brugia timori). Ces vers sont transmis par des moustiques.

Là encore, les manifestations cliniques sont liés aux embryons de ces filaires, embryons qui peuvent vivre jusqu'à 36 mois et résident préférentiellement dans le système lymphatique de l'hôte humain. Au fur et à mesure, les vaisseaux lymphatiques s'endommagent puis se dilatent, ce qui provoque des blocages de circulation de la lymphe, avec un gonflement des membres typique, invalidant et stigmatisant.

Près de 120 millions de personnes seraient infestées par ce ver chaque année, plaçant la filariose lymphatique au troisième rang des maladies tropicales en termes d'impact sur la santé, après le paludisme et la tuberculose.  

L'avermectine, un antiparasitaire puissant extrait d'une bactérie de sol
Satoshi Õmura, microbiologiste japonais né en 1935, travaillait sur l'isolation de produits potentiellement thérapeutiques à partir de sources naturelles. Au début des années 70, il isole la bactérie Streptomyces avermitilis à partir d'un échantillon de sol "prélevé à proximité d'un parcours de golf de la ville de Kawana (Itõ, Shizuoka), en bordure de l'océan", comme il le précise dans un article publié dans Nature en 2004 :

 

Cette bactérie est ensuite envoyée par Satoshi Õmura avec "53 autres échantillons microbiens prometteursaux laboratoires MSD en 1974, car ces derniers lui avaient fait savoir qu'ils avaient développé un nouveau modèle de souris infectées par des vers de type filaires pouvant permettre de tester ces échantillons bactériens.  

William Campbell, chercheur en biologie américain né en 1930 en Irlande et travaillant alors pour MSD, va donc tester ces 54 cultures avec ce nouveau modèle et constate que Streptomyces avermitilis sécrète une substance qui s'avère être un puissant agent antihelminthique (contre les vers), "25 fois plus puissant que tous les vermifuges alors disponibles", souligne Satoshi Õmura.

Campbell purifie l'agent bioactif et le nomme avermectine. Cet agent sera ensuite modifié chimiquement en ivermectine, encore plus efficace pour tuer les microfilaires de plusieurs vers intestinaux. 

L'ivermectine provoque la mort des parasites en leur paralysant les muscles et les neurones (affinité pour les canaux chlorures glutamate-dépendants des neurones et muscles du parasite). Elle est par contre bien tolérée par les humains et autres animaux infestés (bovins, ovins, chevaux, porcs, chiens, etc.), car les mammifères n'ont pas de tels canaux.

L'ivermectine sauve des millions d'enfants de la cécité liée à l'onchocercose
L'ivermectine a été commercialisée à partir de 1981 comme médicament vétérinaire antiparasitaire administré à des centaines de millions d'animaux, d'élevage ou domestiques. La même année, des essais cliniques sur l'homme ont débuté en Afrique et au Guatemala.

Devant la réduction drastique obtenue du nombre de microfilaires (96 à 99 % dès les premiers mois au niveau de la peau), avec une tolérance acceptable (œdème, fièvre, prurit et douleur sont possibles, mais "généralement légers et transitoires"), ce médicament est commercialisé sous le nom de Mectizan à partir de 1987 et administré à des millions de personnes en Afrique.   

"A lui tout seul, [le Mectizan] a transformé la vie de millions de personnes souffrant de l'onchocercose", résume l'OMS, qui continue à distribuer ce médicament afin de tenter d'éradiquer cette maladie à l'horizon 2025 (APOC - Programme africain de lutte contre l'onchocercose).  Parmi ces millions de personnes, des millions d'enfants ont donc évité les lésions dermatologiques et, surtout, la cécité…

L'ivermectine, en association avec l'albendazole, également efficace contre l'éléphantiasis
L'ivermectine s'avère également efficace contre la filariose lymphatique, en combinaison avec l'albendazole (laboratoire GSK) : en 2012, 118 millions de personnes avaient reçu cette association pendant une période de 1 à 11 ans.

Là encore, l'objectif des organisations internationales est d'éradiquer cette maladie, à l'horizon de 2020.

Le paludisme, un fléau mondial
Le troisième lauréat du Prix Nobel de médecine 2015 est donc Youyou Tu, pour sa découverte de l'artémisinine.

Le paludisme, lié au parasite Plasmodium, affecte l'humanité depuis l'Antiquité. Transmis par un moustique femelle (anophèle), il affecte chaque année des centaines de millions de personnes et en tue encore aujourd'hui plus de 500 000 par an, malgré les multiples moyens employés depuis des décennies pour éradiquer le parasite et soigner la maladie. 90 % de ces décès surviennent en Afrique et concernent des enfants de moins de 5 ans dans 78 % des cas, rappelle l'Assemblée Nobel.
 
Une lutte enrayée dans les années 60 par les résistances
Au début du 20siècle, le vecteur du paludisme (anophèle femelle) a été découvert. Des stratégies d'élimination de ce moustique tropical ont alors commencé, avec en particulier la mise au point en 1948 du DDT (dichlorodiphényltrichloroéthane), un insecticide surpuissant. Par ailleurs, un médicament, la chloroquine, a été mis au point et commercialisé à partir de 1949 en France.

Mais des résistances à la chloroquine se sont développées, tandis que l'usage du DDT, écotoxique, a été contesté dès la fin des années 50 et donc diminué (même s'il est encore aujourd'hui utilisé en intérieur, en pulvérisations sélectives), entraînant une reprise de la hausse de la mortalité liée au paludisme dans les années 60.

Face à la hausse des résistances, Youyou Tu passe au crible des milliers d'herbes médicinales de la pharmacopée traditionnelle chinoise et découvre l'artémisinine
En 1967, face à la reprise de la mortalité liée au paludisme, reprise accentuée par la prolifération des anophèles au Vietnam voisin, Mao Zedong initie un grand projet national secret codé "523". Ce projet va mobiliser des centaines de scientifiques, dont le Pr  Youyou Tu et son équipe, qui se tournent vers la médecine traditionnelle chinoise pour tenter de développer de nouvelles thérapies de lutte contre le paludisme.

Ils explorent donc des milliers de pages d'écrits ancestraux, dont le Ben Cao Gang Mu, "traité de médecine le plus complet et le plus détaillé jamais écrit dans toute l'histoire de la médecine traditionnelle chinoise", écrit par Li Shizhen au XVIè siècle.

Ils découvrent qu'une plante chinoise, l'armoise annuelle (Artemisia annua, ou qing hao su, une absinthe douce), apparaît depuis plus de 2 000 ans dans des centaines de recettes destinées à lutter contre la fièvre. Ils testent alors un extrait de cette plante et constatent qu'elle inhibe le développement des parasites paludéens chez des rongeurs.

Mais cette inhibition, liée au bloquage d'une enzyme permettant au parasite de se développer, ne s'avère que partielle et très variable (12 à 40 %).

Youyou Tu explique, dans Nature Medicine en 2011, qu'elle s'est alors replongée alors dans la littérature médicale traditionnelle chinoise et a découvert, dans un traité de médecine chinoise écrit au IVe siècle par Ge Hong (photo ci-dessous), qu'il fallait extraire à froid (et non par ébullition) le jus des feuilles de l'Artemisia. Elle extrait donc à froid, avec de l'éther (à la place de l'alcool), ce jus qui, expérimentalement, tue alors 100 % des parasites de souris, puis de singes infectés !

 
(a) Version du manuel datant de la dynastie Ming (1574).
(b) La phrase clef ayant conduit à la mise au point de l'artémisine,
"Immergez une poignée de Qinghao dans 2 litres d'eau, puis essorez le jus et buvez tout"
est imprimée dans la cinquième colonne à partir de la droite (© Nature). 

Ce fut une véritable percée : l'artémisinine représenta un tournant dans la lutte contre le paludisme sévère et a sauvé, depuis, des millions de personnes. En 2002, l'OMS recommande son usage dans les pays touchés par la résistance à la chloroquine. Aujourd'hui encore, même si des résistances sont malheureusement apparues, l'artémisinine est utilisée en association, réduisant la mortalité globale liée au paludisme de plus de 20 % et la mortalité infantile de plus de 30 %. Plus de 100 000 vies par an sont ainsi sauvées, uniquement en Afrique.
 
En conclusion : un Prix Nobel saluant des avancées "incommensurables" contre des fléaux tropicaux
Õmura, Campbell et Tu ont contribué, avec la découverte de l'ivermectine et de l'artémisinine, à sauver des dizaines de millions de vies, en particulier en Afrique. Ces médicaments ont également mis fin à de lourds handicaps.

Comme le résume la Fondation Nobel, "l'impact global de leurs découvertes et leurs conséquences bénéfiques pour l'humanité sont incommensurables". 
 
En savoir plus :
The Nobel Prize in Physiology or Medicine 2015, William C. Campbell, Satoshi ?mura, Youyou Tu, 5 octobre 2015 (communiqué de presse et dossier scientifique, en anglais)
The life and times of ivermectin — a success story, Satoshi Õmura & Andy Crump, Nature Reviews Microbiology, décembre 2004
Avermectins, New Family of Potent Anthelmintic Agents: Efficacy of the B1a Component, Egerton JC, Campbell WC et coll., Antimicrobial Agents and Chemotherapy, mars 1979
Programme africain de lutte contre l'onchocercose (APOC), OMS
The discovery of artemisinin (qinghaosu) and gifts from Chinese medicine, Tu Youyou, Nature Medicine, octobre 2011
Découverte de l'artémisinine au fond du décocté Le projet 523, Le Quotidien du Pharmacien, décembre 2012
Ben Cao Gang Mu (Abrégé de Materia Medica), Unesco.org, 2010
Paludisme : la multi-résistance aux traitements devient plus alarmante que jamais, communiqué de l'Inserm, 18 septembre 2015
 
Sur VIDAL.fr :
Le Prix Nobel de médecine 2014 décerné aux co-découvreurs des fonctions "GPS" du cerveau humain (octobre 2014)
Le prix Nobel de Médecine 2013 récompense la résolution du mystère de l'organisation des transports intracellulaires

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