Prix "Paroles de patients" et "Talents de Patients" 2015 : de la maladie grave à la création artistique

 
Les livres de patients, un voyage au cÅ“ur de la maladie… ou plutôt au cÅ“ur de la vie malgré la maladie
Chaque année, Isabelle Delattre (LEEM) et Bertrand de Saint-Vincent (Le Figaro) effectuent, pour le Prix Paroles de Patients, une sélection de livres centrés sur la maladie, livres ensuite soumis à la lecture, critique et vote d'un jury composé de lecteurs, journalistes et médecins, jury dont fait partie l'auteur de cet article depuis 4 ans.  

Ces ouvrages sont de plus en plus littéraires, mûris, engagés, militants parfois, distanciés dans d'autres cas, s'éloignant de plus en plus du simple "journal de bord de la maladie".

Cette année, les ouvrages ont notamment abordé plusieurs questions personnelles autour du vécu de la maladie grave : comment rester femme et "girly" malgré le cancer ? Comment vivre au quotidien dans un fauteuil roulant pesant des dizaines de kilos, dans une société encore si peu "accessible" ? Quelles parades trouver lorsque les intestins n'en font qu'à leur tête ? Mourir dans la dignité après des décennies de mucoviscidose, est-ce possible ? Les affres de la maladie de Parkinson sont-ils surmontables lorsque l'on est orthophoniste, poète, rêveuse ? Comment rebondir, se reconstruire, tomber amoureux après un suicide "raté" et terriblement mutilant ? Etc.

La plupart de ces témoignages montrent aussi les difficultés persistantes de communication entre certains professionnels de santé et leurs patients, malgré les évolutions consécutives à la loi sur le droit des patients de Bernard Kouchner. A l'inverse, d'autres soignants font preuve d'une forte empathie, d'une sensibilité aux difficultés rencontrées par les auteurs, qui leur vouent, du coup, une infinie gratitude.

Autre leitmotiv récurrent dans plusieurs de ces livres, en particulier cette année : la difficulté de trouver sur internet une information santé juste et non angoissante, que ce soit sur des sites éditoriaux, institutionnels ou sur des forums et réseaux sociaux.

Dix témoignages très différents sur le vécu de pathologies très invalidantes
La sélection 2015 était donc particulièrement riche. Voici un très bref aperçu des livres retenus et des liens pour en savoir plus sur leur auteur, contenu, messages :

1. "Frères jusqu'au dernier souffle", de Damien et Nicolas Delmer, XO Editions : deux frères jumeaux atteints d'une mucoviscidose racontent leur parcours, leur vie avec cette terrible maladie, leurs inquiétudes sur leur fin de vie et le combat qu'ils mènent pour tenter de choisir cette fin.  
2. "Quand je serai grande,  je serai vieille", de Diane Peylin (éditions Flammarion) : après une grossesse très difficile, l'auteur apprend qu'elle est atteinte d'un cancer. Elle raconte son parcours médical, ses relations avec les professionnels de santé, la vie de tous les jours malgré cette maladie.  
3. "La peine d'être vécue", de Priscille Deborah (Les arènes) : terrible histoire familiale ponctuée par un drame, un suicide sous le métro, non fatal mais terriblement mutilant. Comment vivre avec ce handicap, le souvenir de ce geste et de ce qui l'a provoqué ? Comment se reconstruire ? Un parcours de soins et de vie très particuliers, où le courage et l'art prennent une grande place.
4. "Une étoile qui danse sur le chaos", d'Eve Ricard (Albin Michel) : L'auteur, orthophoniste, est atteinte d'une forme précoce de la maladie de Parkinson. Elle ne veut surtout pas être réduite à sa maladie, parle de vie, d'amour, d'émerveillements pour "ne jamais sortir de l'enchantement de la vie". Préface ciselée de son frère Matthieu Ricard.
5. "La grande Santé", de Frédéric Badré (Seuil) : atteint d'une sclérose latérale amyotrophique (SLA), ou maladie de Charcot, Frédéric Badré a écrit un récit très érudit, brillant, avec un doigt sur une tablette. Passionné de musique, de littérature, il raconte sa maladie, son angoisse de chercher des informations sur internet, l'ilmportance de la médiatisation de la SLA, notamment par Stephen Hawking et le Ice bucket challenge. Il transmet son espoir d'un miracle pour le sauver.
6. "Le royaume de Tristan", d'Anne-Sophie Ferry (Decitre) : chanteuse lyrique, Anne-Sophie Ferry voit sa vie bouleversée par les difficultés de son fils, dont les crises et comportement "autistique"  sont très difficilement pris en charge par le corps médical rencontré : internement et utilisation importante des neuroleptiques la conduisent à chercher d'autres solutions et à se former à des thérapies comportementales, largement plus utilisées dans d'autres pays (ABA, TEACCH, VB, pour "verbial behaviour"). Elle raconte ce parcours si compliqué, les résultats obtenus qui suscitent de l'espoir, pour son fils et d'autres enfants autistes.
7. "Patient-expert : mon témoignage face à la maladie chronique", d'Eric Balez (Odile Jacob) : atteint d'une maladie inflammatoire chronique du côlon (MICI), l'auteur raconte le début de cette maladie, pendant son adolescence, et les bouleversements qui s'en sont suivis. Il narre aussi les moyens qu'il a réussi à mettre au point pour surmonter les difficultés quotidiennes posées par cette affection et insiste sur l'importance d'une information éclairée, si besoin par le biais d'une éducation thérapeutique personnalisée. 
8. "On ne meurt pas comme ça", de Charlotte Fouilleron (éditions MaxMilo) : journaliste, l'auteur est atteinte d'un cancer colorectal à 37 ans. Accro au... shopping, elle le reste malgré la maladie. Son livre relate la manière dont elle a vécu cette maladie, ses rapports avec les soignants, ses aidants, son combat pour rester elle-même et continuer à avancer.
9. "Le cancer, le médecin et la funambule", d'Alain Toledano et Alice Mendès-Lucas (Marabout) : cet ouvrage se présente sous la forme d'un dialogue entre une patiente et son cancérologue suite au diagnostic d'un cancer du sein infiltrant. Ce dialogue permet de saisir l'importance de l'échange permanent entre soignants et soignés, pour expliquer, accompagner, rassurer. Il souligne aussi l'importance de rester soi-même, et non "un malade".
10. Cf. ci-dessous

"Ne dites pas à ma mère que je suis handicapée, elle me croit trapéziste dans un cirque"
"Ne dites pas à ma mère que je suis handicapée, elle me croit trapéziste dans un cirque", de Charlotte de Vilmorin (Grasset), est donc le livre qui a reçu le Prix Paroles de Patients 2015, à la quasi-unanimité du jury. Pourquoi un tel choix ? Car ce livre se distingue par sa fraîcheur, sa finesse, son sujet, mal connu, son écriture, sa pertinence…
 
Charlotte de Vilmorin est en fauteuil roulant depuis la naissance. Elle raconte son quotidien, de l'enfance à aujourd'hui (elle a 25 ans seulement).
 
Charlotte a tout fait pour ne pas être en centre d'enfants handicapés, pour vivre une vie d'enfant normal, malgré les énormes difficultés posées par son handicap. D'autres difficultés surgissent lorsqu'elle commence à travailler. Son livre est un plaidoyer pour un changement de regard sur les personnes handicapées, et surtout une réelle mise en Å“uvre des mesures d'accessibilité dans les lieux publics.
 
Depuis l'écriture de ce livre, et face aux difficultés persistantes de déplacement des personnes en fauteuil en France, Charlotte de Vilmorin a lancé une entreprise de location de voitures adaptées entre particuliers, Wheeliz.
 
Vous pouvez également lire cette pétillante jeune femme sur son blog, wheelcome.
 
"Shave it off", de Marine de Nicola, jeune combattante contre le cancer
Le Prix Talents de Patients 2015 a donc été remis à Marine de Nicola, devenue très tôt chanteuse en Chine suite à un télécrochet type "Nouvelle Star", enchaînant les clips et les galas, concerts. Mais sa voix a commencé à décliner, ce qui l'a amené à consulter, et à découvrir qu'elle était atteinte d'une tumeur lymphomateuse située au niveau de ses poumons, comprimant sa gorge.

Traitée à Toulouse pour ce lymphome agressif, elle perd ses cheveux, se fatigue, mais se bat pour surmonter ces épreuves et avancer. Dans cet esprit, pour "redonner la pêche aux patients ... et peut-être de la force", elle tourne avec ses amis, là l'hôpital, un clip qu'elle nomme "Shave it off" (Rasez tout), librement inspiré du "Shake it off" (Secouez tout) de la chanteuse américaine Taylor Swift :
 

Marine continue son combat contre ce lymphome. Passionnée des médias numériques, Marine est présente sur YouTube et Twitter, elle tient un blog nommé "Kiss of a hurricane" et compte bien continuer à enthousiasmer les foules, chinoises ou non.
 
"Dame Ô" de Fabrice Garcia, pièce de théâtre affrontant le tabou de l'obésité
La chirurgie de l'obésité, ou chirurgie bariatrique, peut être proposée en cas d'obésité sévère ou compliquée, afin de diminuer l'appétit (réduction de la taille de l'estomac). Cela permet souvent des pertes de poids importantes, une diminution du risque de diabète et cardiovasculaire.
 
Mais  cette opération ne résout pas tout, en particulier les éventuels soucis psychologiques qui ont conduit à une prise de poids excessive, de même que les conséquences sociales de l'obésité (stigmatisation, exclusion, isolement, injustices, etc.).  

Le Dr Maxime Sodji (chirurgien de l'obésité, Limoges) a beaucoup Å“uvré pour une prise en charge globale de ses patients opérés, tenant compte de ces difficultés connexes à l'obésité. Cette prise en charge comporte de l'Art-thérapie : poésie, mais aussi théâtre.

Trente patients opérés ont pu participer à une "commission de théâtre" : ils y ont écrit des anecdotes sur leur vie d'obèse, réelles ou fictives. Ces anecdotes ont pris la forme d'une pièce de théâtre, "Dame Ô", écrite par Fabrice Garcia-Carpintero sous l'égide du Dr Sodji. La première a eu lieu le 21 novembre 2014.

En voici une présentation vidéo :
 
 
Ainsi qu'un extrait, "le jugement" :
 
Vous pouvez en savoir plus sur "Dame Ô" sur la page Facebook dédiée.

Un DVD a été réalisé sur cette pièce de théâtre, il est disponible via le site des éditions Black Out.
 
En conclusion
Globalement, il ressort de ces ouvrages que les professionnels de santé, malgré l'amélioration de l'information et malgré les particularités de notre époque (raccourcissement des consultations plus ou moins lié à la démographie médicale et à la stagnation des rémunérations, technicisation parfois extrême de la médecine pouvant supplanter l'écoute, etc.), jouent toujours un rôle clef, capital, essentiel pour le vécu le "moins pire" possible d'une maladie grave… Du moins lorsqu'ils écoutent, nouent un dialogue, ne se réfugient pas derrière une technique, un manque de temps, etc.

Ces Å“uvres constituent également un message d'encouragement pour les personnes gravement malades et leur entourage, montrant certes qu'une maladie peut gravement affecter le corps et le quotidien, mais montrant aussi comment l'esprit peut (parfois ? souvent ?) parvenir à surmonter ces difficultés, en les sublimant, en trouvant des parades, en puisant dans l'amour, l'amitié, l'entraide, l'art, la culture ou l'humour, en se réinventant et/ou en se battant, jour après jour, contre les pronostics, contre les dégradations, pour la vie, tout simplement.
 
En savoir plus :
Deux jeunes femmes remportent le 8e prix Paroles de Patients et le 2e prix Talents de Patients, Leem, 16 octobre 2015
Prix « Coup de cÅ“ur » et « Mention spéciale des internautes », Leem, 16 octobre 2015
 
Sur VIDAL.fr :
Le prix Paroles de patients 2013 remis à Hugo Horiot pour son livre "L'empereur, c'est moi" (octobre 2013)