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Cancer colorectal : une vaste étude soulève à nouveau le possible rôle préventif de l'aspirine

Depuis plusieurs années, différentes études ont montré que la prise régulière d'aspirine était associée à une réduction modérée, mais significative, du risque de développer un cancer colorectal

Une étude observationnelle de grande taille et de longue durée, publiée le 3 mars 2016 dans JAMA Oncology, confirme ce bénéfice, même si elle comporte plusieurs biais ne permettant pas de conclure définitivement à un lien direct, ni à un rapport bénéfices - risques positif dans cette utilisation.

Par ailleurs, il est probable que certains patients bénéficieraient davantage que d'autres d'une prise régulière d'aspirine au long cours, comme le montre l'analyse en sous-groupes d'autres études précédemment publiées. Une piste prometteuse de biomarqueurs permettant d'identifier ces patients est en cours de vérification (recherche d'un taux intestinal élevé de 15-PGDH, cf. encadré en fin d'article).

Si cette piste se confirme, cela pourrait permettre de définir une population cible pour confirmer, ou infirmer, les effets préventifs de l'aspirine, puis, eventuellement, pour leur recommander une telle prise. 


En attendant de telles confirmations ou précisions, l'usage de l'aspirine en prévention anticancéreuse n'est pas recommandé. 
Stéphane Korsia-Meffre 16 mars 2016 07 avril 2016 Image d'une montre5 minutes icon 6 commentaires
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Intérieur d'un côlon géant gonflable utilisé pour sensibiliser les populations à la prévention et au dépistage du cancer colorectal (illustration).

Intérieur d'un côlon géant gonflable utilisé pour sensibiliser les populations à la prévention et au dépistage du cancer colorectal (illustration).

Une étude observationnelle sur 32 années de l'utilisation de l'aspirine par 170 000 professionnels de santé 
L'étude publiée le 3 mars dans JAMA Oncology par des équipes de la Harvard Medical School et du Massachussets Hospital a analysé les données de 2 cohortes de professionnels de santé, la Nurses' Health Study (NHS, 121 700 femmes âgées de 30 à 55 ans en 1976) et la Health Professionals Follow-up Study (HPFS, 51 529 hommes âgés de 40 à 75 ans en 1986).

L'usage d'aspirine par ces professionnels de santé a été mesuré dès 1980 dans la NHS, et à partir de 1986 dans la HPFS. La période de suivi totale a été de 32 ans pendant lesquels 20 414 cancers ont été diagnostiqués chez 88 084 femmes et 7 571 chez 47 881 hommes.

Une diminution du risque de cancer digestif, en particulier colorectal, cohérente avec les diminutions constatées lors d'autres études
Une diminution de 15 % (RR = 0,85 ; IC 95 % 0,8 - 0,91) du risque de survenue d'un cancer digestif est associée à la prise régulière (au moins 2 fois par semaine) d'aspirine (par rapport aux personnes n'en prenant pas)

Plus particulièrement, l'usage régulier d'aspirine est associé à une réduction significative de 19 % (IC 95 % 0,75 - 0,88) du risque de cancer colorectal.

Aucune réduction du risque n'a été observée pour les autres types de cancer (sein, prostate, poumon).

Ces résultats sont cohérents avec ceux observés sur plusieurs cohortes (exemples : J Natl Cancer Inst. 2007Lancet 2012Ann Intern Med. 2013).
 
Un effet protecteur proportionnel à la dose et à la durée de la prise d'aspirine
Dans l'étude de JAMA Oncology, l'effet bénéfique de l'aspirine sur le risque de cancer colorectal a été observé à partir d'une dose hebdomadaire située entre 0,5 et 1,5 doses standard (la dose standard aux États-Unis est de 325 mg), et cet effet augmente lorsque la dose hebdomadaire se situe entre 2 à 5 doses standard.

Cette prise régulière doit être poursuivie pendant au moins 6 ans pour que l'effet protecteur constaté dans cette étude soit décelable.

À partir de leurs observations, les auteurs de l'étude de JAMA Oncology ont calculé que la prise régulière d'aspirine dans la population générale âgée de plus de 50 ans pourrait réduire de 10,8 % le nombre de cancers colorectaux diagnostiqués chaque année.

Mais des biais importants ne permettant pas de conclure et de recommander l'utilisation d'aspirine en prévention du cancer colorectal
Les auteurs soulignent eux-mêmes la prudence nécessaire pour interpréter leurs résultats, cette étude étant observationnelle et non interventionnelle, et ce même s'ils ont ajusté leurs résultats en fonction de l'âge, de la consommation d'alcool et d'un éventuel tabagisme. 

De plus, la dose d'aspirine prise était rapportée (questionnaire) et non rigoureusement administrée, comme elle aurait pu l'être dans un essai clinique randomisé.

Enfin, la population étudiée était une population de professionnels de santé qui n'ont pas forcément les mêmes comportements que l'ensemble de la population. 

En conclusion : une possible réduction du risque de cancer colorectal, mais il est trop tôt pour recommander une prise préventive d'aspirine
Malgré les biais importants évoqués ci-dessus, la possibilité d'une relation directe entre prise régulière d'aspirine et réduction du risque de cancer colorectal n'est pas à écarter, même s'il est trop tôt pour conclure.

lI faudrait donc réaliser un essai clinique interventionnel (groupes sous aspirine, avec prise controlée, comparés à groupes sans aspirine, analyse rigoureuse des cofacteurs, etc.) pour trancher cette question. 


De plus, rappelons-le, la prise régulière d'aspirine comporte également des risques, en particulier gastro-intestinaux. Du fait de ces effets indésirables potentiels, les autorités sanitaires américaines et françaises ne recommandent pas l'administration systématique d'aspirine dans le but de prévenir le cancer colorectal. Les autorités américaines se content pour l'instant de signaler que, pour les patients qui reçoivent de l'aspirine dans la cadre de la prise en charge du risque cardiovasculaire, la prévention du cancer colorectal peut être un bénéfice supplémentaire 

S'il était un jour recommandé d'en prendre systématiquement à partir de 50 ans, il faudrait donc au préalable évaluer si ces risques ne surpassent pas la réduction du risque de cancer colorectal. 

 
Recherche : le possible effet protecteur de l'aspirine peut-être lié à des facteurs inflammatoires présents chez 1 personne sur 2
Pour expliquer ce possible rôle protecteur, qui reste donc à confirmer, des chercheurs évoquent un rôle de l'aspirine sur l'inflammation renforcé chez des personnnes plus sensibles que d'autres.

Dns la paroi intestinale, 2 enzymes s'équilibrent pour contrôler l'état inflammatoire global : la cyclo-oxygénase-2 (COX-2), qui stimule l'inflammation via la synthèse de prostaglandines, et la 15-hydroxyprostaglandine déshydrogénase (15-PGDH) qui tend à réduire la synthèse de prostaglandines. 

Lorsque les cellules de la paroi intestinale subissent une transformation cancéreuse, leur production de 15-PGDH diminue, laissant libre cours à l'effet inflammatoire de la COX-2.

Pour des raisons qui restent encore à confirmer, une étude publiée dans Science Translational Medicine en 2014 constate que l'effet protecteur de l'aspirine (et à un moindre degré des inhibiteurs de la COX-2) n'est sensible que chez les personnes qui présentent des quantités élevées de 15-PGDH dans leur paroi intestinale (ce qui est le cas d'environ 50 % de la population générale). 

Dans cette étude, une réduction de 51 % du risque de cancer colorectal a ainsi été observée chez les patients présentant des taux intestinaux élevés de 15-PGDH.

[édit 18/3] Ainsi, le rôle protecteur de l'aspirine ne pourrait être effectif qu'en présence d'une enzyme "complice", le 15-PGDH à taux élevé, comme le suggère également les résultats d'une autre étude réalisée avec un anti-finflammatoire non stéroîdien [/édit].
 
La piste d'une identification des patients sensibles aux effets protecteurs de l'aspirine
Aux États-Unis, une étude prospective est en cours portant sur des patients dont le taux de 15-PGDH dans la paroi intestinale a été mesuré à partir d'une biopsie effectuée lors de la première coloscopie de dépistage après 50 ans (le dépistage du cancer colorectal dans ce pays reposant directement sur la coloscopie).

Si une plus forte sensibilité à une prévention par l'aspirine est retrouvée chez les personnes au plus fort taux de 15-PGDH, cela pourrait ouvrir la voie à une 
prévention ciblée de ce cancer par l'administration régulière d'aspirine (à condition de faire une coloscopie préalable).


Pour aller plus loin :
 
L'étude observationnelle de JAMA Oncology
Cao Y et al. « Population-wide Impact of Long-term Use of Aspirin and the Risk for Cancer », JAMA Oncol. Published online March 03, 2016.
 
Deux études sur les possibles mécanismes d'action de l'aspirine dans la prévention du cancer colorectal
Fink SP et al. « Aspirin and the Risk of Colorectal Cancer in Relation to the Expression of 15-Hydroxyprostaglandin Dehydrogenase (HPGD) », Science Translational Medicine  23 Apr 2014, Vol. 6, Issue 233, pp. 233re2.
 
Yan M et al. « 15-Hydroxyprostaglandin dehydrogenase inactivation as a mechanism of resistance to celecoxib chemoprevention of colon tumors », Proc Natl Acad Sci U S A. 2009 Jun 9;106(23):9409-13.

Sur VIDAL.fr : 
VIDAL Reco "Cancer colorectal"
Évolution de la mortalité liée au cancer colorectal en Europe : les leçons des 30 dernières années (octobre 2015)
Cancer colorectal : un test plus simple et plus fiable pour relancer le dépistage organisé (mai 2015)

Sur EurekaSante.fr :
Dossier "Cancer colorectal"
(causes et prévention, dépistage, symptômes, diagnostic, traitement, surveillance)
Sources

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SilvanoB Il y a 8 ans 0 commentaire associé
Il n y a pas que les cardiologues si apprécieront cette bonne nouvelle
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