#Santé publique

Prix des médicaments innovants : les propositions du Conseil économique, social et environnemental

Les prix élevés, parfois très élevés, demandés par les laboratoires pharmaceutiques pour certains médicaments innovants préoccupent, en raison de leur poids grandissant sur les dépenses d'assurance maladie. 

Après l'expression, en 2016, de l'inquiétude de médecins et associations de patients, le Conseil économique, social et environnemental (CESE : assemblée consultative de la République) s'est penché sur le sujet.

Dans un avis rendu le 25 janvier 2017, le CESE propose, à l'instar de l'OCDE en janvier 2017, des pistes pour anticiper l'impact de ces dépenses nouvelles, pour améliorer la transparence de la fixation du prix des médicaments, actuellement toujours opaque, et pour identifier de nouveaux modèles économiques pour les traitements innovants (évaluation en vie réelle, révisions régulières des prix en fonction des résultats, possibles modifications des modes de commercialisation et fixation des prix par l'Etat).

Le CESE propose également des mesures d’harmonisation européenne en matière de prix des médicaments et demande une évaluation des effets de la réforme récente de la liste en sus, qui peut permettre de restreindre à certaines indications le remboursement par la collectivité de ce type de médicaments (voir notre article sur le cas du védolizumab).

Enfin, des mesures contraignantes (fixation unilatérale du prix par l'Etat et licence obligatoire), possibles mais non utilisées en France, sont également évoquées par le CESE.
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Le Conseil économique, social et environnemental publie un avis sur le prix des médicaments innovants

Le Conseil économique, social et environnemental publie un avis sur le prix des médicaments innovants


Le prix des médicaments innovants, un poids grandissant sur les dépenses de santé
De plus en plus de médicaments innovants (nouveaux médicaments ne correspondant pas à des traitements déjà disponibles), comme les 
thérapies ciblées anticancéreuses (anticorps monoclonaux) et les antiprotéases contre le virus de l'hépatite C, sont commercialisés à des prix élevés, ce qui pèse, et pourrait peser de plus en plus, sur les comptes de l'assurance maladie. 

Par exemple, le surcoût actuel lié aux nouveaux traitements anticancéreux peut être estimé de 1 à 1,2 milliards d'euros par an.

En 2016, une pétition de Dominique Maraninchi, ancien président de l'ANSM (agence nationale du médicament et des produits de santé) a tenté d'alerter la société sur ce risque en prenant l'exemple des médicaments contre le cancer.

Par ailleurs, des associations Médecins du Monde et la Ligue contre le cancer ont mené des actions choc pour pousser les pouvoirs publics à s'emparer de ce problème avant qu'il ne devienne majeur.

Dans leurs messages, médecins et associations soulignent que le reste à charge pour ces médicaments devient très élevés en Angleterre et aux Etats-Unis, s'inquiétant en miroir de la capacité de l'assurance maladie à assumer toutes ces dépenses sans en faire peser une partie sur les patients.
 
Opacité persistante sur la fixation du prix du médicament
Ces pétitions rappellent aussi 
l'opacité qui règne en France sur le mécanisme de fixation du prix des médicaments, alors que, logiquement, les laboratoires tentent d'amortir le plus rapidement possible leurs investissements (recherche, production des médicaments innovants). 

Rappellons qu'en France, le prix des médicaments est fixé par le Conseil économique des produits de santé (CEPS), au travers d'une négociation avec l'entreprise exploitant le médicament, sur la base notamment de l'ASMR, du prix des médicaments à même visée thérapeutique, des volumes de vente envisagés et des prix pratiqués à l'étranger.

Ce dispositif peine à s'adapter aux médicaments dits innovants qui arrivent aujourd'hui sur le marché. En effet, les mécanismes de régulation ne différencient pas suffisamment les innovations "de rupture" des innovations "incrémentales" (consistant à améliorer le traitement sans véritable nouveauté pharmacologique). De ce fait, le prix ne reflète donc pas forcément le caractère innovant du traitement.

Alors que des représentants des patients ont été intégrés à la Commission de transparence de la Haute Autorité de Santé (qui fixe le SMR et l'ASMR), le législateur refuse toujours de les admettre comme membres du CEPS. De plus, les délibérations du CEPS ne sont pas rendues publiques, à l'inverse de celles de la Commission de transparence. Tout ceci contribue à l'opacité du mécanisme de fixation du prix des médicaments.
 
L'avis des acteurs de la société civile, au travers du CESE, pour préserver l'accès universel aux médicaments innovants en France
Le Conseil économique, social et environnemental (CESE), qui représente la société civile, vient de publier un avis, "Prix et accès aux traitements médicamenteux innovants
" (lien vers le rapport complet, 106 pages ; synthèse sur 2 pages), proposant des pistes pour actualiser les modalités de négociation avec l'industrie du médicament.

Établi sous la direction de Catherine Pajares y Sanchez (CFDT) et de Christian Saout (CISS), ce document explore les voies et moyens préconisés par ses auteurs pour préserver le principe d'accès universel aux médicaments innovants, principe qui constitue l'un des piliers de la cohésion sociale et de l'égalité en France. Pour y parvenir, le CESE propose cinq grandes actions.
 
Anticiper l'impact économique des médicaments innovants sur 10 ans 
Pour le CESE, il convient de mettre rapidement en place des études prospectives sur l'impact financier du remboursement des traitements innovants dans la décennie à venir.

Cette évaluation permettrait de mesurer le degré d'urgence des réformes à mettre en place.

Cette étude prospective pourrait être intégrée dans le rapport annuel de la Cour des Comptes sur l'application des lois de financement de la Sécurité sociale.
 
Améliorer la transparence sur la fixation du prix des médicaments
Constatant l'opacité des décisions du CEPS et des paramètres ayant mené à ces décisions, le CESE demande à ce que des représentants des associations de patients agréées siègent dans toutes les instances ayant à statuer en matière d'évaluation et de fixation du prix des médicaments.

De plus, ils proposent que des représentants du Conseil des caisses d'assurance maladie siègent au Conseil de l'ANSM, à la Commission de la transparence de la Haute autorité de santé, au CEPS et à la Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDiMTS).
 
Rechercher un nouveau modèle économique pour les médicaments innovants
Selon le CESE, une place plus importante devrait être donnée à l'évaluation médico-économique qui met en regard les résultats attendus d'une intervention de santé avec les ressources utilisées pour la produire.

Pour y parvenir, l'avis du CESE recommande de favoriser l'évaluation en vie réelle de l'efficacité des médicaments coûteux et la révision des prix en fonction des indications et des résultats de ces études.

Le CESE suggère également de solliciter l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) en vue d'une étude de faisabilité sur deux réformes possibles du mode de remboursement des traitements dits innovants : le paiement au résultat (où l'Assurance maladie ne paierait que les traitements qui se sont révélés efficaces), et la fixation d'un prix à l'indication qui permettrait d'adapter le prix au marché que représente chaque indication.
 
Évaluer l'impact des nouveaux critères de la liste en sus sur l'accès aux médicaments et créer la possibilité d'un "droit d'appel" devant la HAS
Récemment, des médecins et des associations de patients ont sonné l'alarme sur les conséquences du décret du 25 mars 2016 relatif à l'inscription d'un médicament (le védolizumab) indiqué dans la maladie de Crohn et la RCH sur la liste en sus, décret qui modifie les conditions d'inscription des traitements médicamenteux sur cette liste (voir notre article).

Le CESE demande qu'une évaluation de ce changement récent (remboursement par la collectivité pouvant être sélectif, pour une indication et non pour toutes les indications du médicament) soit menée en associant l'ensemble des parties prenantes (professionnels de santé, tutelles, représentants des assurés sociaux, associations de patients, etc.).

Si ce décret s'avère compromettre l'accès aux thérapeutiques innovantes, le CESE demande à ce que soit formalisé un "droit d'appel" devant la Haute autorité de santé pour permettre aux patients qui en auraient besoin de bénéficier gratuitement des médicaments non inscrits sur la liste en sus.
 
Agir au niveau européen pour une meilleure harmonisation de la fixation des prix
Parce que les stratégies des laboratoires pharmaceutiques se décident à l'échelle mondiale, le CESE souligne l'importance de l'harmonisation des méthodes d'évaluation et de fixation du prix des médicaments innovants au niveau européen, et d'une plus grande transparence des prix négociés dans chaque pays européen.

De plus, le CESE souhaite que soit étudiée la faisabilité d'une Agence européenne de fixation des prix et d'une Centrale d'achat européenne, avec adhésion volontaire des États Membres.
 


La licence obligatoire et la fixation unilatérale du prix par l'État, deux mesures contraignantes que la France a décidé de ne pas utiliser
Le CESE aborde également deux options plus radicales pour contrôler le prix des médicaments innovants : la fixation unilatérale du prix par l'État et la licence obligatoire.

Il y a licence obligatoire lorsqu'un tribunal ou une autorité administrative autorise un tiers à fabriquer un produit breveté sans le consentement du titulaire du brevet. En effet, le brevet ne crée pas un droit absolu et il doit être concilié avec la santé, droit fondamental de l'être humain. Les accords internationaux qui régissent le commerce et la propriété intellectuelle ont toujours considéré comme essentiel la possibilité de recourir à l'outil des licences obligatoires.

En France, les autorités sanitaires ont fait le choix de ne pas utiliser ces deux options rejetées par l'industrie pharmaceutique, qui les juge incompatibles avec un investissement serein dans la recherche.


Le CISS (Collectif interassociatif sur la santé), dans  un communiqué sur l'avis du CESE,estime qu'il serait tout de même intéressant "de disposer de projections assez fines des résultats et conséquences de la mise en œuvre effective de ce type de mesures".
 
Le CISS plaide également pour la formation "d'un groupe de concertation, (…) incluant des représentants d'usagers et les différentes parties prenantes, (pour) aborder l'ensemble des champs des possibles : notamment porter sur l'impact des mécanismes de fixation unilatérale et de la licence obligatoire et, plus globalement, sur la refonte du modèle économique pour dépasser le choix impossible entre rationnement des soins ou explosion des dépenses de santé". 

Rappellons enfin ces 5 dernières années, le déficit de la branche maladie de l'assurance maladie s'est largement réduit, avec en particulier d'importantes baisses de prix des médicaments, et ce malgré l'arrivée de médicaments innovants et coûteux (antiviraux d'action directe, anticorps monoclonaux). 

 
Pour aller plus loin
 
"Prix et accès aux traitements médicamenteux innovants", l'avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE), 25 janvier 2017
Le rapport intégral
La note de synthèse
 
Le communiqué de presse du CISS sur l'avis du CESE, 30 janvier 2017

Sur les effets de bord du décret du 25 mars 2016 réformant la liste en sus
« Maladie de Crohn : lettre ouverte à Marisol Touraine sur la situation des patients traités par védolizumab » (vidal.fr, janvier 2017)

La pétition des médecins pour protester contre le prix des médicaments dits innovants contre le cancer, 2016
 
Les propositions de Médecins du Monde pour faire diminuer le prix des médicaments innovants
 
La pétition de la Ligue contre le cancer pour faire diminuer le prix des traitements innovants

 

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