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Troubles de l’audition et surrisques médicaux : résultats à 25 ans d’une étude de l’Inserm

Le Pr Hélène Amieva, épidémiologiste, et ses collaborateurs de l’Inserm ont publié les résultats de la première étude au long cours sur la survenue, chez les personnes âgées, de pathologies (dépression, démence ou dépendance) et décès associés, ou non, à un déficit auditif déclaré.
 
Les résultats du suivi sur 25 ans montrent une absence de surrisque de décès. A l’inverse, un surrisque de dépendance et de démence chez ces personnes malentendantes ou sourdes est constaté.

Un surrisque de dépression est également associé à ces difficultés d’audition, seulement chez les hommes.
 
Ces surrisques ne sont cependant pas retrouvés chez les personnes âgées portant des appareils auditifs.
 

Selon le Syndicat National des Audioprothésistes (UNSAF), qui a organisé une conférence de presse le 6 février 2018 pour présenter les résultats de cette étude, on ne peut plus dire "Je ne savais pas".

Il faudrait donc, toujours selon l’UNSA et les économistes de la santé présents à cette conférence, améliorer la prise en charge de l’audioprothèse, ce qui pourrait diminuer les risques de pathologies associées (et leurs coûts).
08 février 2018 Image d'une montre7 minutes icon 4 commentaires
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Seule une personne âgée malentendante sur deux utilise un appareil auditif en France (illustration).

Seule une personne âgée malentendante sur deux utilise un appareil auditif en France (illustration).

 
Les problèmes d'audition affectent une grande partie des seniors
Le Pr Hélène Amieva, épidémiologiste à l'Unité INSERM 1219 "Bordeaux Population Health Center", et ses collaborateurs rappellent en introduction de leur étude de suivi à quel point les troubles de l'audition sont fréquents chez les seniors, à tel point que l'on parle de presbyacousie : environ 30 % des personnes de plus de 65 ans ont une diminution de l'audition, et 70 à 90 % des plus de 85 %.
 
A tel point que la perte de l'audition est la troisième pathologie chronique affectant les personnes âgées, selon une étude américaine publiée en 2012.
                            
Des études déjà réalisées mais de portée limitée, nécessitant des recherches complémentaires pour conclure
Un surrisque de difficultés (isolement social, altération de la qualité de vie, baisse des activités  en groupe, diminution des fonctions cognitives, baisse de la condition physique) ou pathologies constituées (dépression, démence) a déjà été associé aux pertes d'audition, mais ces études étaient de portée limitée (faibles effectifs, suivi trop court, biais, etc.).
 
De même, des études de suivi et randomisées montrent le plus souvent un impact positif des aides auditives sur la condition physique et la cognition, mais là encore, ces données sont insuffisantes pour conclure.
 
D'où le travail entrepris par l'Inserm avec une cohorte suivie pendant 25 ans (cohorte PAQUID).
 
Cette étude effectuée à partir de la cohorte PAQUID a été financée par l'ARMA (Bordeaux), la Caisse Nationale d'Assurance Maladie des Travailleurs Salariés (CNAMTS), le Conseil Général de la Dordogne, le Conseil Général de la Gironde, le Conseil Régional d'Aquitaine, la Fondation de France, France Alzheimer (Paris), le GIS Longévité, l'Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM), la Mutuelle Générale de l'Education Nationale (MGEN), la Mutualité Sociale Agricole (MSA), NOVARTIS Pharma (France),SCORInsurance (France). Ces financeurs n'ont joué aucun rôle sur le design de l'étude, la collecte des donnée, leur analyse, la décision de publier ou la préparation du manuscrit.

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d'intérêt.

La cohorte PAQUID : 3 777 personnes de plus de 65 ans suivies pendant au moins 25 ans
PAQUID (Personne Agées QUID) est une cohorte de suivi du vieillissement. Débutée en région Aquitaine en 1988, elle a inclus 3 777 personnes de 65 ans et plus qui ont accepté un bilan neuropsychologique et une évaluation des critères diagnostics démentiels tous les deux ou trois ans. 3 588 personnes ont été retenues (les 189 autres n'avaient pas rempli le test d'audition par exemple, ou ont été perdues de vue).
 
L'âge moyen était de 75,3 ans, 57,8 % étaient des femmes.
 
Evaluation de l'audition, de la cognition, recherche de la présence éventuelle de symptômes dépressifs et d'une dépendance
Cette évaluation régulière comportait, outre un suivi des décès, un questionnaire sur l'état auditif auto-évalué, avec cette question "Avez-vous des problèmes d'audition ?" et 3 réponses possibles : "Non, je n'en n'ai pas", "J'ai du mal à suivre les conversations lorsqu'au moins 2 personnes parlent en même temps ou dans un environnement bruyant", "J'ai un trouble de l'audition majeur". Il a aussi été demandé aux participants s'ils utilisaient, ou non, une audioprothèse.  
 
Les tests effectués à chaque visite comportaient aussi un Mini-Mental State Evaluation (MMSE, évaluant les fonctions cognitives) et le score IADL (autonomie des activités quotidiennes).
 
L'échelle utilisée pour évaluer la présence de symptômes dépressifs, ou non, était le CES-D, comportant 20 items (personnes considérées comme ayant une symptomatologie dépressive lorsque le score était supérieur ou égal à 23 pour les femmes, 17 pour les hommes).
 
Enfin, deux autres échelles ont été utilisées pour évaluer l'autonomie au quotidien (et donc l'existence possible d'une dépendance):
  • Autonomie instrumentale, avec l'échelle Lawton-Brody (capacité à téléphoner, gérer ses médicaments, son argent, utiliser les transports, faire des courses, etc.)
  • Autonomie sur les gestes du quotidien, avec l'échelle Katz (capacité à se laver, s'habiller, manger, se déplacer dans la maison. Par contre l'incontinence n'a pas été évaluée).
 
 

Résultats : 36 % des personnes suivies avaient des problèmes auditifs
Tout d'abord, l'analyse des réponses aux questions sur l'audition montre des résultats cohérents avec ceux de la littérature : 2 299 des 3 588 participants (64 %) ne mentionnaient pas de problèmes d'audition, 1 289 en mentionnaient (36 %), dont 176 (5 %) déclarant porter un appareil auditif.
 
Décès, symptômes dépressifs, dépendance et démence : mesure des surrisques éventuels
L'analyse statistique recherchant des surrisques chez les patients présentant des troubles de l'audition montre, après ajustements sociodémographiques et en fonction de l'état de santé :
  • Une absence de surrisque de décès (HR = 0,99 ; IC95% = 0,92 – 1,07).
  • Une absence de surrisque significatif de symptômes dépressifs (HR = 1,17 ; IC95% = 0,97 – 1,42 ; p = 0,1005). Par contre, lorsque seuls les scores des hommes sont analysés, une association significative est constatée entre troubles de l'audition et symptômes dépressifs (p = 0,03). Les auteurs expliquent cette différence sur une plus grande fréquence d'altération de la compréhension associée aux troubles auditifs chez les hommes.
  • Une absence de surrisque significatif d'altération de l'autonomie instrumentale selon l'échelle de Lawton-Brody  (HR = 1,15 ; IC95% = 0,99 – 1,24 ; p = 0,0861).
  • Un surrisque significatif d'altération de l'autonomie au quotidien selon l'échelle de Katz : dépendance retrouvée chez 33 % des participants malentendants, contre 29,4 % des personnes ne se plaignant pas de troubles de l'audition  (HR = 1,23 ; IC95% = 1,07 – 1,42 ; p = 0,046).
  • Un surrisque significatif de démence associé à la presbyacousie : altération cognitive majeure (MMSE) retrouvée chez 24,9 % des participants malentendants, contre 24,1 % des personnes ne se plaignant pas de troubles de l'audition  (HR = 1,18 ; IC95% = 1,02 – 1,36 ; p = 0,0238).
 
Les surrisques ne sont pas constatés chez les personnes appareillées
Les surrisques de symptômes dépressifs chez les hommes, de dépendance et de démence ne sont pas retrouvés chez les 176 participants ayant un appareil auditif (analyse stratifiée).
 
Les surrisques évoqués ci-dessus sont donc présents chez les participants présentant des troubles de l'audition mais ne portant pas d'appareil auditif. L'analyse stratifiée montre en sus une altération de l'autonomie instrumentale (Lawton-Brody) chez les participants malentendants non appareillés.  
 
Au total, des résultats qui renforcent l'idée que les troubles de l'audition contribuent au développement de pathologies
Selon les auteurs, et malgré l'absence de lien de causalité établi, la probabilité de ces surrisques de pathologies associés aux troubles de l'audition est renforcée, en particulier parce que :
  • Les participants appareillés présentaient les mêmes risques que les participants ne présentaient pas de troubles de l'audition.
  • Le suivi de la cohorte PAQUID est très long (c'est une des cohortes sur le vieillissement les plus anciennes du monde).
 
Il faut noter cependant que cette cohorte a exclu les personnes incapables de communiquer, dont une partie présentait probablement des troubles de l'audition sévère. D'autres facteurs peuvent affecter la solidité des résultats, comme la variabilité des appareils auditifs utilisés, le fait que la perte d'audition soit auto-évaluée (mais notons que les études montrent une corrélation entre auto-évaluation et audiogrammes), ou encore les différences de score "positif" pour les hommes et les femmes sur le CES-D (cette différence est-elle vraiment pertinente ?).
 
Pas d'autre traitement que l'appareillage auditif
Les auteurs rappellent qu'aucun médicament n'est indiqué en cas de presbyacousie. Seul l'appareillage auditif fonctionne, plus ou moins bien en fonction de sa qualité… et de son prix.
 
Les auteurs préconisent donc de réaliser d'autres études centrées sur les conséquences de l'appareillage auditif chez les personnes âgées.
 
L'UNSAF organise une conférence de presse pour présenter cette étude et appeler à une évolution de la prise en charge des audioprothèses
Le 7 février 2018, l'UNSAF (Syndicat National des Audioprothésistes) a réuni le Pr Hélène Amieva, le Pr Jean de Kervasdoué et le Dr Laurence Hartmann, économistes de la santé au CNAM (Conservatoire National des Arts et Métiers), pour présenter les résultats de cette étude, qui "constitue une source d'espoir pour plus de trois millions de personnes pouvant bénéficier d'un équipement auditif en France".
 
L'UNSAF parle de "double peine" (presbyacousie et surrisques de dépression, dépendance ou démence) pouvant être évitée, du moins si la prise en charge de l'audioprothèse s'améliore, dans le cadre du "bien vieillir" et du "reste à charge zéro" promis par Emmanuel Macron et le gouvernement actuel.
 
Pour mémoire, actuellement les prothèses auditives sont remboursées à 60 % sur la base d'un tarif fixé à 199,71 euros (par oreille), quelle que soit la classe de l'appareil prescrit. Or ces derniers coûtent en moyenne 1 500 euros (les mutuelles peuvent plus ou moins compléter ce forfait de 119 euros de l'assurance maladie), ce qui peut expliquer que sur 2,5 à 3 millions de malentendants nécessitant un appareillage, seuls 1,5 million en bénéficient…
 
De plus, Jean de Kervasdoué et Laurence Hartmann ont rappelé avoir évalué en 2015 le coût pour la société du déficit à auditif à 23,4 milliards d'euros par an. Ils estiment que si l'audioprothèse était prise en charge, 10 euros seraient gagnés pour 1 euro dépensé ("une révision des conditions de remboursement des soins auditifs est urgente au titre de la politique de santé et au titre de la prévention de la perte d'autotomie").
 
Ce plaidoyer des professionnels de l'audioprothèse, épidémiologistes et économistes de la santé sera-t-il entendu par le gouvernement ?
 
En savoir plus :
 
L'étude objet de cet article
Death, Depression, Disability, and Dementia Associated With Self-reported Hearing Problems: A 25-Year Study, Amieva H et al;, The Journal of Gerontology, 3 janvier 2018
 
Conférence de presse de l'UNSAF et du CNA (Collège National d'Audioprothèse)            
Prévention et bien vieillir : une nouvelle étude de l'INSERM confirme le lien entre le déficit auditif et les « 3 D » (dépendance, démence, dépression), 7 février 2018
Présentation de Hélène Amieva (INSERM), « Décès, dépression, démence et dépendance associés à un déficit auditif déclaré : une étude épidémiologique sur 25 ans »
Présentation de Jean de Kervasdoué et Laurence Hartmann (CNAM), « Le remboursement intégral des audioprothèses est une nécessité médicale et économique ! »
 
Le remboursement actuel des prothèses auditives en France
Prothèses auditives : quelle prise en charge ? Assurance Maladie, octobre 2017
 
Sur VIDAL.fr
Remboursement des dispositifs médicaux : de "profondes inégalités" (novembre 2014)
Prothèses auditives, lunettes, alcool et hôpitaux : ce que change la loi Macron (juillet 2015)
 
 
 

Commentaires

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sapiens Il y a 6 ans 1 commentaire associé
vous avez oublié de mentionner la situation des implantés cochléaires , qui se retrouvent face à une situation régressive de l'audition en dépit de fréquents réglages . Merci de bien vouloir l'évoquer .
Modérateur Médecine générale Il y a 6 ans 0 commentaire associé
Bonjour, Il s'agit d'une autre question, qui mérite en effet des données et analyses : quid des implants à long terme ? Leur fiabilité s'améliore, mais il existe toujours des problèmes... Si nous voyons passer un rapport récent ou une étude sur ce sujet, nous en parlerons. Bien à vous
nehrmann&free.fr Il y a 6 ans 0 commentaire associé
D'où l'importance du remboursement des app. auditifs
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