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IPP en prévention des saignements digestifs chez les patients hospitalisés : examen de leur utilité

Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) sont souvent prescrits pour prévenir le risque hémorragique chez les patients hospitalisés en soins intensifs ou non, avec ou sans facteur de risque.

Mais leur rapport bénéfices-risques est-il positif dans ces indications (prévention des saignements avec ou sans facteur de risque) ? Et celui des autres anti-acides ? 

Afin de l'évaluer, deux épidémiologistes canadiens ont passé en revue les méta-analyses et revues effectuées dans le monde sur ce sujet et ont publié ce travail dans le New England of Medicine le 27 juin 2018 1.


Les auteurs ont constaté que s'ils étaient prescrits chez 80 à 90 % des patients en soins intensifs au Canada, ces médicaments anti-acides apparaissent pourtant d’une efficacité au mieux modeste (au vu du risque absolu) dans la prévention des saignements digestifs importants, sauf chez les patients sous anticoagulants ou double thérapie par antiagrégants plaquettaires. 
 
Par contre leur prescription est associée, selon la même analyse, à une augmentation modérée du risque de pneumonie acquise lors de l’hospitalisation (risque relatif de 1,2), et à une augmentation plus importante du risque de diarrhée à clostidium difficile (risque relatif doublé à triplé).
 
À la lumière de ces résultats, les auteurs de cette revue invitent les praticiens et les autorités de santé à revoir leurs pratiques et leurs recommandations pour éviter ces prescriptions souvent inutiles et parfois dangereuses. Ils proposent logiquement qu’elles soient limitées aux patients qui présentent des facteurs de risque de saignements digestifs avérés.
Stéphane Korsia-Meffre 11 juillet 2018 Image d'une montre9 minutes icon 4 commentaires
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La prescription prophylactique d'IPP augmente le risque de pneumonie et de diarrhée à clostridies en soins intensifs

La prescription prophylactique d'IPP augmente le risque de pneumonie et de diarrhée à clostridies en soins intensifs


Une revue sur la prévention primaire des saignements digestifs secondaires en soins intensifs
Deux épidémiologistes canadiens, Deborah Cook et Gordon Guyatt de l'université McMaster en Ontario, viennent de publier dans le New England Journal of Medicine une revue
1 portant sur les bénéfices et les risques de la prévention primaire, par les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) ou les antihistaminiques H2, de saignements digestifs hauts secondaires (qui n'ont pas justifié l'hospitalisation) chez les patients en état critique ou hospitalisés en chirurgie.

En effet, depuis quelques années, des doutes sont apparus sur le rapport bénéfices / risques de ces substances qui sont largement prescrites (chez 80 à 90 % des patients en soins intensifs selon les auteurs de la revue du NEJM) pour prévenir ces saignements digestifs, fréquents chez ces patients (voir par exemple Huang HB, 2018
sur la faible efficacité préventive et l'augmentation du risque de pneumonie).
 
Les saignements digestifs hauts chez les patients en état critique
Les saignements digestifs hauts (œsophage, estomac, duodénum), qu'ils soient symptomatiques ou occultes, sont un problème fréquent chez les patients en état critique. Les données de prévalence historiques estimaient que des saignements occultes de ce type étaient présents chez 15 à 50 % des patients en unité de soins intensifs.

Avec l'amélioration de la prise en charge, les études les plus récentes évoquent une prévalence de 1,5 à 3,5 % chez les patients en unités de soins intensifs (0,3 à 0,4 % dans les services de chirurgie) (voir par exemple Cook D et al., NEJM, 1998 
3).

Selon les auteurs de la revue du NEJM, les saignements digestifs hauts sont associés, en soins intensifs, à une durée de séjour plus longue (4 à 8 jours) et une mortalité plus élevée, même après 90 jours.
 
Les facteurs de risque des saignements digestifs hauts chez les patients critiques
Chez les patients en unité de soins intensifs, les saignements digestifs secondaires sont en général liés à un affaiblissement de la barrière muqueuse, du fait d'une hypoperfusion de la muqueuse digestive, d'un état proinflammatoire et d'une stimulation vagale liée au stress.

Dans leur revue 
1, Cook et Guyatt précisent les facteurs de risque connus à ce jour et leur impact sur le risque de saignements digestifs :
  • la mise sous ventilation mécanique invasive depuis plus de 48 heures, ce qui stresse beaucoup et peut donc provoquer une ulcération de la muqueuse gastrique (risque 15,6 fois plus élevé) ;
  • la présence d'au moins 3 maladies intercurrentes (x 8,9) ;
  • les maladies hépatiques (x 7,6) ;
  • l'insuffisance rénale nécessitant une dialyse (x 6,9)
  • les troubles de la coagulation (x 4,5) ;
  • et... le traitement par des médicaments antiacides, probablement en raison d'antécédents de saignements (x 3,6).

Ces saignements sont également plus fréquents chez les personnes âgées, celles qui souffrent de maladies cardiopulmonaires ou rénales sévères, et celles victimes d'un traumatisme cérébral.
 
Revue internationale d'une méta-analyse en réseau et de méta-analyses additionnelles 
Dans leur revue 1, Cook et Guyatt compilent les résultats de plusieurs méta-analyses, dont une méta-analyse en réseau de 57 études (Alhazzani W et al., Intensive Care Medicine, janvier 2018 4). Cette méta-analyse très récente porte sur les effets des anti-acides préventifs chez 7 293 patients atteints d'une maladie grave, "critique". 

Les auteurs ont aussi analysé les résultats d'autres méta-analyses effectuées auprès de patients hospitalisés sans état critique et/ou présentant un état de santé particulier (ventilation mécanique invasive, suite de chirurgie cardiaque, etc.).

Pour mémoire, une méta-analyse en réseau permet de pondérer le poids des différentes études sur des données objectives, et d'effectuer aussi des comparaisons indirectes.

Leurs analyses et conclusions portent sur les patients en état critique, mais également sur des patients hospitalisés en chirurgie, avec ou sans facteur de risque pour des saignements digestifs.
 
Patients en état critique : preuves "faibles à modestes" d'une efficacité préventive significative des IPP, pas d'influence sur la mortalité globale 
Première conclusion de cette revue 
1, chez les patients en soins intensifs, la prévention des saignements digestifs est effectuée le plus souvent avec des IPP. 

Mais les auteurs ont constaté que sur les 57 essais cliniques randomisés analysés lors de la méta-analyse en réseau de 2018 
4, seuls deux portaient comparaient l'impact préventif de la prise d'IPP à celle d'un placebo, avec un niveau de preuves qualifié de "modéré". La qualité des études comparant ces mêmes IPP à des anti-H2 est qualifié de "faible". 

L'approche analytique en réseau de ces études, en tenant compte de ces limites méthodologiques et du poids de chacune, tendent à montrer que les IPP sont "probablement plus efficaces" pour prévenir les saignements gastro-intestinaux cliniquement importants que les anti-H2 [odds ratio (OR) 0,04; Intervalle de confiance à 95% (IC 95%) 0,2-0,7], les médicaments contenant du sucralfate (OR 0,3, IC à 95% 0,13-0,69) et qu'un placebo (OR 0,2; IC à 95% 0,1-0,6).

Par contre les résultats de ces études ne montrent" pas de différences convaincantes entre anti-H2, sucralfate et placebo". 

Enfin, ces traitements préventifs n'influencent pas sur la mortalité toutes causes. 


Patients hospitalisés hors soins intensifs : IPP efficaces, mais vraiment utiles seulement en cas de double thérapie antiplaquettaire
Chez les patients hospitalisés hors soins intensifs, une efficacité est constatée chez des patients sous double thérapie antiplaquettaire, ce qui représente un facteur de risque de saignement : une étude réalisée auprès de 3 761 patients a retrouvé à 180 jours un taux de saignements digestifs importants de  1,1 % avec l'oméprazole et de 2,9 % avec le placebo (Bhaat D et al., NEJM, novembre 2010 5). La prise d'IPP est d'ailleurs recommandée aux Etats-Unis (Levine GN et al., J Am Coll Cardiol 2016 6) pour ces patients.

Chez les patients sans risque particulier, une vaste étude (27 966 patients hospitalisés) a montré une réduction significative du risque de saignements digestifs importants chez les patients ayant pris préventivement des IPP par rapport à ceux n'en n'ayant pas pris (OR = 0,58 ; IC95% 0,37-0,91) (Herzig SH et al., J Gen Intern Med., mai 2013 
7).

Mais le risque absolu de survenue d'un tel saignement chez ces patients sans facteur de risque particulier est faible (à 0,27 % dans cette étude), ce qui relativise la significativité de cette réduction du risque et donc l'utilité de cette prise préventive d'IPP. 

Patients en état critique : risque de pneumonie modérément augmenté sous IPP
L'évaluation de l'effet des IPP sur le risque de pneumonie acquise lors du séjour en soins intensifs montre une augmentation du risque modérée (19-20 %) mais significative, tant chez les patients sous ventilation mécanique invasive (RR 1,20, IC95 1,03-1,41, 35 312 patients) (MacLaren R et al., JAMA Intern Med 2014 8) que chez ceux ayant subi une chirurgie cardiaque (RR 1,19, IC95 1,03-1,38, 21 214 patients) (Bateman BT et al., BMJ 2013 9). 


Hors soins intensifs : un surrisque de pneumonie également constaté
Chez les patients hors soins intensifs, la prescription prophylactique d'IPP est également associée à un risque modérément plus élevé de pneumonie (RR 1,3, IC95 1,1-1,4, 63 878 patients) (Herzig SJ et al., JAMA 2009 10).

Ce risque n'est pas retrouvé chez les patients sous anti-H2 (mais, nous l'avons vu, ces derniers sont peu efficaces...). 

[édit 12/7] Pourquoi la prise d'IPP est associée à une augmentation du risque de pneumonie ? 
Herzig SJ et al. 10 expliquent que les IPP, en rendant l'estomac (le milieu gastrique) moins acide, augmenteraient le risque de pneumonie par modification de la flore gastro-intestinale supérieure et, par conséquent, de la flore respiratoire. Ce processus prendrait plusieurs jours. 

Cependant, le risque de pneumonie semble diminuer avec l'augmentation de la durée d'utilisation.

Il est donc possible que d'autres phénomènes interviennent, en particulier l'altération de la fonction des globules blancs associée au traitement par inhibiteur de la pompe à protons, altération qui se produit en quelques heures (Zedtwitz-Liebenstein K et al., Crit Care Med. 2002 11[/édit 12/7] 

 
Les diarrhées à clostridies sont 2 à 3 fois plus fréquentes sous IPP chez les patients hospitalisés, "critiques" ou non
En 2012, la Food and Drug Administration (FDA, l'ANSM américaine) a publié une mise en garde sur le risque augmenté de diarrhée à clostridies chez les patients traités par IPP 12.

Dans leur revue, Cook et Guyatt ont constaté que chez les patients en soins intensifs, le risque d'infection 
à Clostridium difficile sous traitement préventif par IPP est doublé voire triplé (RR de 2,00 à 3,10 selon deux petites études randomisées, une étude cas-témoin et une étude de suivi, IC95 de 0,30 à 15,00).

Chez les patients hospitalisés hors soins intensifs, le risque d'infections à C. difficile est également augmenté lors de prise prophylactique d'IPP (RR de 1,80 à 2,60, IC95 de 1,50 à 4,00, 14 450 patients au total).


[édit 12/7] Pourquoi la prise d'IPP est associée à une augmentation du risque de diarrhée à Clostridium difficile ? 
"La diminution de l'acidité gastrique est un facteur de risque connu pour d'autres maladies diarrhéiques infectieuses telles que la diarrhée du voyageur, la salmonellose et le choléra. En effet, l'acidité gastrique constitue un mécanisme de défense majeur contre les pathogènes ingérés, et la perte de l'acidité normale de l'estomac a été associée à la colonisation du tractus gastro-intestinal supérieur normalement stérile", expliquent Dial S et al. 13.

De plus, la survie des spores de Clostridum difficile serait favorisée par une acidité moindre de l'estomac (pH élevé).  

Enfin, il est possible, comme pour le surrisque de pneumonie, que l'altération des globules blancs, décrite notamment par Zedtwitz-Liebenstein K et al. 11, joue un rôle [/édit 12/7] 


Des prescriptions qui pourraient être limitées voire évitées, en particulier après l'hospitalisation
En conclusion, les auteurs de la revue du NEJM 
rappellent que les prescriptions d'IPP initiées en prévention des saignements digestifs lors d'une hospitalisation sont souvent renouvelées durant les semaines qui suivent la sortie du patient.

Selon eux, au Canada, ces prescriptions concernent plus de 60 % des patients en post-hospitalisation, dont 79 % sans facteur de risque de saignement clairement identifié.

Considérant les risques infectieux associés à ce type de traitement, ils encouragent les praticiens et les autorités de santé à revoir leurs pratiques et leurs recommandations pour éviter ces prescriptions souvent inutiles en l'absence de facteur de risque (ex : anticoagulation) et peu efficaces, parfois dangereuses.
 
 
Pour aller plus loin
 
  1. La revue présentée dans le New England Journal of Medicine Cook D et Guyatt G. « Prophylaxis against Upper Gastrointestinal Bleeding in Hospitalized Patients. » N Engl J Med. 2018 Jun 28;378(26):2506-2516.
  2. Huang HB, Jiang W, Wang CY, Qin HY, Du B. « Stress ulcer prophylaxis in intensive care unit patients receiving enteral nutrition: a systematic review and metaanalysis. » Crit Care 2018; 22: 20.
  3. Cook D, Guyatt G, Marshall J, et al. « A comparison of sucralfate and ranitidine for the prevention of upper gastrointestinal bleeding in patients requiring mechanical ventilation. » N Engl J Med 1998; 338: 791-7.
  4. Alhazzani W et al.,« Efficacy and safety of stress ulcer prophylaxis in critically ill patients: a network meta-analysis of randomized trials »,  Intensive Care Medicine, janvier 2018 
  5. Bhaat D et al., « Clopidogrel with or without Omeprazole in Coronary Artery Disease », NEJM, novembre 2010
  6. Levine GN et al., « ACC/AHA guideline focused update on duration of dual antiplatelet therapy in patients with coronary artery disease:  a report of the American College of Cardi- ology/American Heart Association Task  Force on Clinical Practice Guidelines », J Am Coll Cardiol 2016;68:1082-115.
  7. Herzig SH et al., « Risk Factors for Nosocomial Gastrointestinal Bleeding and Use of Acid-Suppressive Medication in Non-Critically Ill Patients », J Gen Intern Med., mai 2013
  8. MacLaren R, Reynolds PM, Allen RR.  « Histamine-2 receptor antagonists vs pro- ton pump inhibitors on gastrointestinal  tract hemorrhage and infectious compli- cations in the intensive care unit  » ; JAMA Intern Med 2014;174:564-74.
  9. Bateman BT, Bykov K, Choudhry NK, et al. « Type of stress ulcer prophylaxis and risk of nosocomial pneumonia in cardiac surgical patients: cohort study ». BMJ 2013; 347:f5416.
  10. Herzig SJ, Howell MD, Ngo LH, Mar- cantonio ER. « Acid-suppressive medica- tion use and the risk for hospital-acquired  pneumonia ». JAMA 2009;301:2120-8.
  11. Zedtwitz-Liebenstein K et al. « Omeprazole treatment diminishes intra- and extracellular neutrophil reactive oxygen production and bactericidal activity » ; Crit Care Med. 2002 May;30(5):1118-22.
  12. « FDA drug safety communication: Clostridium difficile-associated diarrhea can be associated with stomach acid drugs known as proton pump inhibitors (PPIs) » Silver Spring, MD: Food and Drug Administration, 8 février 2012
  13. Dial S et al., « Use of Gastric Acid–Suppressive Agents and the Risk of Community-Acquired Clostridium difficile–Associated Disease », JAMA. 2005;294(23):2989-2995.

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Alex Il y a 5 ans 0 commentaire associé
Bonjour, Par quels mécanismes les IPP induisent une augmentation du risque de pneumonie ?
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