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Dépression après un syndrome coronarien aigu : prendre un antidépresseur améliore-t-il le risque cardiaque ?

Après un syndrome coronarien aigu (infarctus ou angor instable), des troubles dépressifs sont observés chez environ la moitié des patients.

Afin d'évaluer la possible influence de la prise d'un antidépresseur sur le risque cardiaque à long terme après un accident coronarien récent, Kim JM et al. ont mené un essai randomisé en double aveugle avec un suivi de 8 ans en moyenne.  
 
Les résultats, publiés fin juillet 2018 dans le JAMA 1, montrent que la prise d'escitalopram réduit significativement le risque de connaître un événement cardiaque majeur par rapport à la prise d'un placebo. Cet effet protecteur est observé bien au-delà de la période de traitement (24 semaines en moyenne). 
 
Cette étude vient contredire les principaux résultats d'études précédentes, mais les auteurs font remarquer qu'en sus des limites méthodologiques des études antérieures, les participants à leur étude souffraient de troubles dépressifs plus modérés que ceux des autres études.

Ils remarquent aussi que les patients les plus à risque de complications cardiaques étaient aussi les plus enclins à se retirer de leur étude avant la fin du traitement.
 
D’autres études seront nécessaires pour confirmer le possible effet protecteur des antidépresseurs, en particulier des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, après un accident coronarien et pour en préciser les mécanismes d’action.
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L'escatilopram pourrait réduire les complications cardiaques chez les patients dépressifs après un accident coronarien (illustration).

L'escatilopram pourrait réduire les complications cardiaques chez les patients dépressifs après un accident coronarien (illustration).


La dépression, fréquemment observée après un accident coronarien
Les états dépressifs sont fréquemment observés après un syndrome coronarien aigu (infarctus  du myocarde ou angor instable) (voir Rudisch B et al., 2003 2).

De plus, ils sont souvent associés à un mauvais pronostic (voir Frasure-Smith N et al., 1993 3 et Lespérance F et al., 2002 4).

Pour cette raison, plusieurs études ont évalué l'impact d'un traitement antidépresseur sur les conséquences d'un accident coronarien aigu.
 
Des études antérieurs aux résultats peu concluants en raison de limites méthodologiques
Trois études ont cherché à évaluer les effets d'un antidépresseur dans ces conditions :

Globalement, ces études n'ont pas observé d'effet protecteur significatif des antidépresseurs, sauf dans des sous-groupes de patients sévèrement déprimé, et plutôt avec des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS).

Ces résultats sont cependant peu concluants car "le suivi était en général court, les données thérapeutiques hétérogènes et l'évaluation des éventuelles complications cardiaques était limitée", font remarquer Kim JM et al. 1

Pour rappel contextuel, une étude similaire post-AVC en double aveugle a montré un effet protecteur de 12 semaines de la prise d'antidépresseurs (nortriptyline ou fluoxétine) vs placebo, avec une meilleure survie jusqu'à 9 ans après le traitement (voir Jorge RE et al., 2003 8).
 
Etude randomisée en double aveugle comparant l'effet de l'escitalopram à celui d'un placebo
Un essai clinique randomisé en double aveugle a donc été mené en Corée du Sud par Kim JM et al. 1 auprès de 300 patients ayant récemment (moins de deux semaines) été victimes d'un accident coronaire aigu et ayant été diagnostiqués comme souffrant de dépression (à l'aide du Beck Depression Inventory et du questionnaire MINI).

Une dépression cliniquement significative a été constatée chez 56 % des 300 patients sélectionnés pour un accident coronarien récent.

La sévérité de la dépression était mesurée à l'aide de la Hamilton Depression Rating Scale (HAM-D).

L'âge moyen des participants était de 60 ans, avec 39 % de participantes. Les patients ont été randomisés en deux groupes :
  • escitalopram (Seroplex ou génériques) pendant 24 semaines (dose moyenne à la dernière visite : 7,6 mg/j, doses autorisées : de 5 à 20 mg/j),
  • placebo pendant 24 semaines.

Le suivi moyen a été de 8,1 années.
 
Critères d'efficacité primaire  : taux d'évènements cardiaques majeurs d'un côté, diminution de la dépression de l'autre
Dans l'étude coréenne, le critère d'efficacité primaire cardiaque était un critère composé nommé MACE (pour "Major Adverse Cardiac Events", soit survenue d'"évènements cardiaques majeurs") incluant la survenue d'un décès quelle que soit la cause, d'un infarctus du myocarde et la nécessité d'une intervention coronarienne percutanée.

Les critères secondaires cardiaques étaient les trois éléments de MACE pris séparément et le décès d'origine cardiaque.

Le critère primaire pour la résolution des symptômes dépressifs était un score HAM-D inférieur à 7 à la fin des 24 semaines de traitement.
 
Une diminution significative du nombre d'événements cardiaques majeurs
À la fin de la période de suivi, 61 patients (40,9 %) recevant l'escitalopram avait subi un MACE contre 81 (53,6 %, p=0,03) dans le groupe placebo :

Fréquence cumulée des événements cardiaques majeurs (MACE) au cours du suivi (en années).

L'analyse des données pour chaque critère secondaire séparément ne montre une différence significative que pour l'infarctus du myocarde (8,7 % vs. 15,2 %, p=0,04) et, marginalement, pour les interventions coronariennes percutanées (12,8 % vs. 19,9 %, p=0,07).

Des résultats préservés avec ou sans traitement antidépresseur lors du suivi
Les résultats observés sont-ils seulement dus aux 24 semaines de traitement ou certains patients ont-ils continué leur traitement antidépresseur après l'étude ?

De fait, peu de patients ont pris un traitement antidépresseur au-delà des 24 semaines : un an après la fin de l'étude, 5 dans le groupe escitalopram, 3 dans le groupe placebo.

Les résultats restent valides lorsque ces patients sont retirés de l'étude (p=0,03 sur le critère primaire).

Ainsi, comme après un AVC, ce sont les 24 semaines de traitement qui semblent avoir un effet positif tout au long du suivi sur plus de 8 années.
 
Des résultats différents de ceux retrouvés dans les études précédentes
Dans leur discussion, les auteurs cherchent à comprendre pourquoi leurs résultats sont contradictoires avec ceux observés jusque-là.

En sus des limites méthodologiques évoquées précédemment, ils remarquent plusieurs différences concernant les participants de leur étude :
  • globalement les symptômes dépressifs étaient plus modérés dans leur cohorte : score HAM-D moyen de 15,9, contre 18,1 pour l'étude MIND-IT et 19,6 pour SADHART ;
  • à l'inverse des deux études sus-nommées, l'étude coréenne présentée dans le JAMA montre clairement une efficacité de l'antidépresseur sur les symptômes dépressifs : taux de rémission mesuré sur l'HAM-D de 52,3 % dans le groupe escitalopram vs. 34,9 % dans le groupe placebo ;
  • dans les deux groupes, le taux de patients ayant quitté l'étude a été plus important pour ceux présentant un taux de créatine kinase MB plus élevé, ce qui a de facto exclu les patients les plus à risques de MACE et a pu ainsi biaiser l'étude.
 
Des résultats positifs avec les IRS, mais pas avec les autres antidépresseurs ? 
Cette étude a analysé l'impact d'un IRS. De plus, dans les études précédentes, les IRS semblaient être plus protecteurs que les autres antidépresseurs administrés.

Les auteurs de l'étude coréenne proposent l'hypothèse d'effets supplémentaires des IRS, au-delà de l'effet antidépresseur, comme, par exemple, un effet sur les cytokines régulant l'inflammation, une normalisation de la fonction des plaquettes sanguines (qui accumulent la sérotonine), voire un effet sur les facteurs neurotrophiques issus du cerveau.

Des études complémentaires seront donc nécessaires, avec si possible des patients présentant différents stades dépressifs et plusieurs classes de médicaments comparées à un placebo, pour essayer de comprendre le spectre des éventuels effets des IRS après un accident coronarien aigu ou un AVC.
 
 
Pour aller plus loin
 
L'étude coréenne présentée dans le JAMA
1 - Kim JM, Stewart R et al. Effect of Escitalopram vs Placebo Treatment for Depression on Long-term Cardiac Outcomes in Patients With Acute Coronary Syndrome: A Randomized Clinical Trial. JAMA. 2018 Jul 24;320(4):350-358.
 
Liens épidémiologiques entre dépression et accidents coronariens
2 - Rudisch B, Nemeroff CB. Epidemiology of comorbid coronary artery disease and depression. Biol Psychiatry. 2003;54(3):227-240.
 
Les liens épidémiologiques entre dépression et mortalité après un accident coronarien
3 - Frasure-Smith N, Lespérance F, Talajic M. Depression followingmyocardial infarction: impact on 6-month survival. JAMA. 1993;270(15):1819-1825.
 
4 - Lespérance F, Frasure-Smith N et al. Five-year risk of cardiac mortality inrelation to initial severity and one-year changes in depression symptoms aftermyocardial infarction. Circulation. 2002;105(9):1049-1053.
 
L'étude ENRICHD
5 - Berkman LF, Blumenthal J, Burg M, et al. Effects of treating depression and low perceived social support on clinical events aftermyocardial infarction: the Enhancing Recovery in Coronary Heart Disease Patients (ENRICHD) randomized trial. JAMA. 2003;289(23):3106-3116.
 
L'étude MIND-IT
6 - van Melle JP, de Jonge P, Honig A, et al. MIND-IT Investigators. Effects of antidepressant treatment following myocardial infarction. Br J Psychiatry. 2007;190(6):460-466.
 
L'étude SADHART
7 - Glassman AH, Bigger JT Jr, Gaffney M. Psychiatric characteristics associated with long-term mortality among 361 patients having an acute coronary syndrome and major depression: seven-year follow-up of SADHART participants. Arch Gen Psychiatry. 2009;66(9):1022-1029.


Effet des antidépresseurs après un AVC
8 - Jorge RE, Robinson RG, Arndt S, Starkstein S. Mortality and poststroke depression: a placebo-controlled trial of antidepressantsAm J Psychiatry. 2003;160(10):1823-1829.
Sources

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