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La phagothérapie : la renaissance d’un vieux traitement ?

La phagothérapie est un traitement s’appuyant sur l’activité bactéricide de virus appelés bactériophages, qui a été largement utilisée au début du 20e siècle.
Après avoir été progressivement abandonnée en raison de la découverte de la pénicilline, elle est très récemment réapparue comme une stratégie "d’avenir" face à la recrudescence des bactéries résistant aux antibiotiques.
Patricia Thelliez 02 janvier 2020 Image d'une montre6 minutes icon Ajouter un commentaire
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Représentation en 3D de bactériophages à l'assaut d'une bactérie (illustration).

Représentation en 3D de bactériophages à l'assaut d'une bactérie (illustration).

Découverts il y a une centaine d'années par un chercheur franco-canadien travaillant à l'Institut Pasteur, Félix D'Hérelle, les bactériophages (plus simplement appelés phages) sont des virus "mangeurs" ou plutôt tueurs de bactéries. Ces armes anti-infectieuses naturelles, présentes en abondance dans tous les écosystèmes de la planète, y compris dans le corps humain, sont apparues comme un traitement miracle et ont connu leur heure de gloire dans les années 1920-1930.

Portés aux nues, puis abandonnés
Après la mondialisation de leur utilisation thérapeutique, ces virus très particuliers sont cependant tombés dans l'oubli, détrônés par un tout nouveau traitement à l'époque : la pénicilline.
Les collections de bactériophages de l'Institut Pasteur, à Paris et à Lyon, ont été détruites et les laboratoires investis dans la phagothérapie ont progressivement arrêté la production de phages.
Seul l'empire soviétique, isolé derrière le rideau de fer, avec quasiment aucun accès aux antibiotiques, a continué à recourir à cette thérapie antibactérienne. Et même après l'éclatement de bloc de l'Est, certains centres comme, le plus connu, celui de Tbilissi en Géorgie (Phage Therapy Center, fondé par un élève de Félix D'Hérelle, George Eliava) et également celui de Wroclaw en Pologne (Institut d'immunologie et de thérapie expérimentale) sont toujours spécialisés en phagothérapie.

Un regain d'intérêt face à la montée de l'antibiorésistance
Aujourd'hui, la recrudescence des bactéries résistantes, voire multirésistantes, l'inflation des infections nosocomiales et le manque de nouveaux traitements poussent à envisager le retour de la phagothérapie dans la lutte contre les infections.
En attestent le regain de publications sur le sujet depuis une dizaine d'années et les expérimentations menées dans plusieurs centres hospitaliers.
L'administration de la phagothérapie est le plus souvent locale (cutanée, inhalée, etc.) ou intraveineuse alors que la voie orale se heurte à l'acidité gastrique qui détruit les bactériophages.

Des prédateurs naturels des bactéries
Les bactériophages ont en effet de nombreux atouts. Ils agissent vite, en moins d'une demi-heure. Plus il y a de bactéries, plus ils se multiplient et sont efficaces. Habituellement, chaque bactériophage est spécifique d'une bactérie et parfois d'une seule souche.
Des résistances bactériennes peuvent rarement survenir, mais elles sont le plus souvent labiles, les bactériophages étant capables de muter pour retrouver leur efficacité.
Leur action n'est nullement enrayée par l'emploi concomitant d'antibiotiques qui peuvent agir en synergie, ni par les biofilms, et ils respectent le microbiote. Leurs effets secondaires sont quasi inexistants. Plus récemment, il a été possible de manipuler leur génome pour les rendre encore plus efficaces.
 
Il y a toutefois un revers de la médaille. Ce traitement, qui a été développé au début du XXe siècle, n'a pas fait l'objet d'études effectuées selon les standards actuels et nombre de publications, y compris récentes, sont des rapports de cas cliniques.
Une première étude multicentrique randomisée (Phagoburn), menée chez des patients ayant des infections bactériennes sur brûlure, dans des services français, belges et suisses, n'a pas réussi à montrer de bénéfices. Cependant, du fait de contraintes logistiques, les doses de bactériophages étaient trop faibles. D'autres expérimentations cliniques se sont en revanche révélées positives.

Des limites à prendre en compte
La détermination de l'efficacité des bactériophages en tant qu'agents antibactériens se heurte en effet à de multiples difficultés. Ainsi, la préparation du "matériel bactériophagique" demande une certaine expertise. Il faut, par exemple, que seuls soient présents les bactériophages lytiques et en aucun cas l'autre variété des bactériophages, dits tempérés, qui eux introduisent leur génome dans le chromosome de la bactérie, vecteur de gènes potentiellement dangereux pour le patient.
Autre écueil, se procurer des bactériophages n'est pas aisé, car peu de laboratoires produisent aujourd'hui ce type de virus. Il est en théorie possible de se procurer des bactériophages dans les centres d'Europe de l'Est, mais, en pratique, leur faire franchir les frontières n'est pas facile, en raison des lois sur le bioterrorisme.

En attente d'essais cliniques menés selon les critères actuels
La nécessité de mettre en place des essais cliniques de qualité est aussi criante, mais elle se heurte au fait que les bactériophages ont une activité très ciblée qui en font un traitement personnalisé : cela rend donc difficile la tentative de généralisation réclamée par les tutelles.
Un autre problème est que les bactériophages ne sont ni des médicaments, ni des organes, ni des vaccins, ni des dispositifs médicaux. Ils sont habituellement considérés comme des préparations magistrales, ce qui rend difficile leur emploi dans un cadre réglementaire.

EDIT du 3 juin 2020. En France, Pherecydes Pharma est une structure considérée par l'ANSM comme en capacité de mettre à disposition des bactériophages produits industriellement. Il existe également une autre société française spécialisée dans la santé animale, Vetophage, qui dispose d'une banque de phages. /FIN EDIT
Plusieurs équipes médicales ont aussi recours aux bactériophages produits par l'hôpital militaire de la Reine Astrid à Bruxelles. Mais, dans le monde, d'autres laboratoires, structures académiques et institutions militaires se sont lancés dans le développement de cette option thérapeutique.

La mobilisation de plusieurs acteurs
Quoi qu'il en soit, plusieurs équipes, notamment françaises ont déjà commencé à tester les bactériophages, en particulier en cas d'impasse thérapeutique ou à titre compassionnel.
Mais la phagothérapie pourrait être utile dans de nombreuses indications, aiguës ou surtout chroniques. L'Inserm, via sa revue Médecine Science, a d'ailleurs publié en 2017 une synthèse sur le sujet et un article en octobre 2019.
L'ANSM a quant à elle réuni plusieurs experts sur le sujet en 2016 puis, récemment, en 2019, pour faire un état des lieux des différences expériences cliniques françaises et des actions susceptibles de promouvoir l'utilisation des bactériophages, avec notamment la proposition de mettre en place une plateforme nationale d'orientation et de validation du recours aux phages.
Plusieurs associations de patients confrontés aux résistances bactériennes plaident pour pouvoir disposer de ce type de traitement en France. En effet, faute de pouvoir y avoir accès, certaines personnes finissent par se déplacer jusqu'en Géorgie à leurs frais, pour pouvoir bénéficier de l'expertise du centre de Tbilissi.
Pour conclure, la phagothérapie apparaît être une piste antibactérienne très intéressante, mais qui nécessite d'être réexaminée de façon plus scientifique qu'il n'y a un siècle. Les travaux sont en cours et, sous la menace de résistances bactériennes incontrôlables, les acteurs de la santé se mobilisent pour réactiver les potentialités de cette « vieille » stratégie thérapeutique.

Pour en savoir plus



EDIT du 3 juin 2020. En France, Pherecydes Pharma est une structure considérée par l'ANSM comme en capacité de mettre à disposition des bactériophages produits industriellement. Il existe également une autre société française spécialisée dans la santé animale, Vetophage, qui dispose d'une banque de phages. /FIN EDIT

D'Hérelle F. Sur un microbe invisible antagoniste des bacilles dysentériques. Compte rendu de l'Académie des Sciences. 1917 ; 165 : 373-375 (absence de document numérique disponible).
Dublanchet A et Fruciano E. A short history of phages therapy. Med Mal Infect 2008 ; 38-415-420.
Ravat F et coll. Bactériophages et phagothérapie : utilisation de virus naturels pour traiter les infections bactériennes. Ann Burns fire disasters 2015 : 28 ; 13- 20.
Phage Therapy Center, Tbilissi, Géorgie.
Antibiotiques et résistances bactériennes : une menace mondiale, des conséquences individuelles (ANSM, novembre 2019)
Institut d'immunologie et de thérapie expérimentale, Wroclaw  Pologne.
Gorsky A et coll. Phage Therapy : What Have We learned. Viruses 2018 ; 10 : 288.
Patey O et coll. Clinical indications and compassionate use of phage therapy: personal experience and literature review with a focus on osteoarticular infections. Viruses 2018 Dec 28;11(1). pii: E18.
Jennes S et coll. Use of bacteriophages in the treatment of colistin-only-sensitive Pseudomonas aeruginosa septicaemia in a patient with acute kidney injury – A case report. Critical Care 2017 ; 21 : 129.
LaVergne S et coll. Phage therapy for a multidrug-resistant Acinetobacter baumanii craniectomy site infection. Open Forum Infect Dis 2018 ; 5 : ofy064.
Dedrick RM et coll. Engineered bacteriophages for treatment of a patient with a disseminated drug resistant Mycobacterium abscessus. Nat Med 2019 ; 25 : 730-733.
Jault P et coll. Efficacy and tolerability of a cocktail of bacteriophages to treat burn wounds infected by Pseudomonas aeruginosa (PhagoBurn) : a randomised, controlled, double-blind phase 1-2 trial. Lancet Infect Dis 2019 ; 19 : 35-45.
Hôpital militaire de la Reine Astrid, Bruxelles, Belgique.
Dufour N et Debarbieux L. La phagothérapie. Une arme crédible face à l'antibiorésistance. Med Sci 2017 ; 33 : 410-416. pdf
Jordan B. Chroniques génomiques. Cent ans après, le retour de la phagothérapie. Med Sci 2019 ; 35 : 806-809.
ANSM- Comité scientifique spécialisé temporaires. Compte rendu de séance. Phagothérapie –Retour d'expérience et perspectives. Mars 2019.

 
Sources

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