#Santé publique #COVID-19

Efficacité de la troisième dose contre Omicron : la guerre des clones

Pourquoi une troisième dose de vaccin à ARNm construit à partir de la souche Wuhan semble-t-elle améliorer notre protection contre l’atypique Omicron tout autant qu’un vaccin actualisé pour ce nouveau variant ?
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La troisième dose de vaccin contre la COVID-19 stimule la production d'anticorps inédits à spectre plus large (illustration).

La troisième dose de vaccin contre la COVID-19 stimule la production d'anticorps inédits à spectre plus large (illustration).

Résumé
Contrairement à ce que nous aurions pu espérer, une dose de rappel (« troisième dose ») avec un vaccin à ARNm actualisé pour Omicron ne semble pas, en termes de protection contre ce variant, faire mieux qu'un rappel avec un vaccin non actualisé (dans des modèles animaux).

S'il est rassurant de savoir que les vaccins actuellement disponibles nous protègent efficacement contre les formes graves dues à Omicron, la question demeure : comment la troisième injection d'un vaccin construit sur un variant ancien peut-elle améliorer notre immunité contre un variant aussi atypique ?

Une étude immunologique vient de montrer que, sur le plan de l'immunité humorale, la dose de rappel est bien davantage qu'une dose de plus. Elle est capable de stimuler l'apparition de nouveaux clones de lymphocytes B dont les anticorps sont dirigés vers des régions de la protéine Spike qui sont plus conservées dans les différents variants de SARS-CoV-2, élargissant ainsi le spectre de neutralisation de nos défenses humorales.

Comprendre plus finement notre réaction immunitaire aux différents types de vaccins, injection après injection, sera essentiel pour imaginer des protocoles vaccinaux hétérologues, capables d'offrir une protection large et durable, quels que soient les variants que le futur nous réserve.

Lorsque le variant Omicron est apparu, avec ses nombreuses mutations inédites et sa relative immunorésistance, les laboratoires producteurs de vaccins à ARNm ont jugé que ce nouveau venu justifiait de concevoir et d'évaluer des vaccins utilisant sa protéine Spike plutôt que celle du variant historique Wuhan, la base de tous les vaccins actuels. De fait, Pfizer, BioNTech et Moderna ont chacun annoncé des études précliniques et cliniques, destinées à étudier l'effet d'un vaccin actualisé administré en dose de rappel (« troisième dose »), voire dès la primo-vaccination.

Mais, récemment, plusieurs études ont jeté une ombre sur l'intérêt d'un rappel par cette forme actualisée de vaccin à ARNm, en tout cas dans des modèles animaux. Ces premières données semblent contre-intuitives : comment un rappel avec un vaccin actualisé pour Omicron peut-il n'apporter aucun bénéfice supplémentaire contre ce variant, lorsque ses effets sont comparés à ceux d'un rappel avec un vaccin « historique » ?

Corollaire de cette question, comment une troisième dose de vaccin « historique » peut-elle apporter un bénéfice significatif contre un variant aussi différent qu'Omicron ? Une étude immunologique récente apporte des réponses à cette dernière question et permet de mieux comprendre en quoi l'injection de rappel n'est pas simplement « une injection de plus ».

Une troisième dose de vaccins à ARNm disponibles protège contre les formes sévères d'Omicron
Désormais, et malgré l'apparition récente d'Omicron qui limite notre recul, il est clairement établi, en vie réelle, qu'une troisième injection de vaccin à ARNm actuellement disponible améliore la protection contre Omicron, en particulier contre les formes graves dues à ce variant (mais beaucoup moins contre les formes légères, comme illustré par le nombre de personnes complètement vaccinées et néanmoins infectées par Omicron).

À titre d'exemple, les dernières données de l'Agence de sécurité sanitaire britannique montrent que le taux de protection conféré par la troisième dose est, jusqu'à 3 mois après l'injection :
  • pour Delta, de 90 à 99 % contre la COVID-19 symptomatique, et de 95 à 99 % contre les hospitalisations ou les décès dus à ce variant ;
  • pour Omicron, de 50 à 75 % contre les formes symptomatiques, de 80 à 95 % contre les hospitalisations et de 85 à 99 % contre les décès dus à ce variant.
Entre 4 et 6 mois après la troisième injection, le taux de protection contre les formes symptomatiques baisse à 90-95 % contre Delta et 40-50 % contre Omicron, mais il reste satisfaisant concernant les hospitalisations dues à ce nouveau variant (75-85 %).

Pour les Centers for Diseases Control and Prevention américains (CDC), la dose de rappel prévient à 94 % les consultations en urgence dues à Delta et à 82 % celles dues à Omicron.
Face à ces bons résultats, un vaccin actualisé pour Omicron peut-il apporter un bénéfice supplémentaire ?

Chez la souris, un rappel avec un vaccin « omicronisé » ne semble pas apporter de bénéfices supplémentaires
Pas moins de quatre études chez l'animal semblent indiquer qu'un rappel avec un vaccin à ARNm actualisé pour Omicron n'apporte pas plus de bénéfice immunitaire qu'un rappel avec un vaccin à ARNm conçu pour le variant Wuhan (« historique »).

Chez les souris, Ying et al. ont montré qu'un rappel de vaccin « omicronisé » n'augmente pas plus le taux d'anticorps neutralisants contre Omicron qu'un rappel classique. Ils ont également mis en évidence que, chez des souris non immunisées contre SARS-CoV-2, une double injection de vaccin « omicronisé » produit des taux importants d'anticorps neutralisants contre ce variant, mais une très mauvaise neutralisation contre les variants précédents.

Ce dernier résultat a également été obtenu par Lee et al. qui ont évalué, chez la souris, quatre modalités vaccinales à ARNm (2 injections à 4 semaines d'intervalle) :
  • un vaccin dirigé contre le RBD (Receptor Binding Domain, domaine de liaison au récepteur ACE2) d'Omicron ;
  • un vaccin dirigé contre le RBD de Delta ;
  • un vaccin dirigé contre un RBD « hybride » portant les 16 mutations des RBD de Delta et Omicron combinées ;
  • un mélange bivalent des deux premiers vaccins à part égale.
Avec le vaccin dirigé contre Omicron et le vaccin « hybride », l'activité neutralisante des sérums contre Omicron était excellente, mais celle dirigée contre les variants plus anciens quasiment absente.

Avec le vaccin dirigé contre Delta et le vaccin bivalent, les sérums montraient une activité neutralisante contre Omicron plus faible (mais significative), ainsi que contre les variants plus anciens.

Ces deux études montrent clairement que l'immunité issue des vaccins construits à partir des variants « anciens » est davantage capable de contrôler Omicron que l'inverse.

De l'importance du calendrier vaccinal
Chez le hamster de Syrie, Hawman et al. ont fait une constatation intéressante (avec des vaccins à ARN réplicatif, c'est-à-dire dont l'ARN code à la fois pour Spike et pour une enzyme capable de multiplier in vivo cet ARN, dans un effet amplificateur).

Comme chez les souris, chez ces animaux, une troisième dose de vaccin « omicronisé » (après deux doses de vaccin « Wuhan ») n'apporte pas davantage de bénéfice immunitaire contre Omicron qu'une troisième dose de vaccin « Wuhan ». Mais, après une première dose de vaccin « Wuhan », deux doses de vaccin « omicronisé » procurent une meilleure réponse humorale contre Omicron que trois doses de vaccin « Wuhan », tout en gardant une réponse acceptable contre le variant historique.

Des résultats un peu décevants confirmés chez les macaques
Ces résultats obtenus chez des rongeurs ont été confirmés chez des primates non humains. Gagne et al. ont administré une troisième dose actualisée à huit macaques, qui avaient reçu deux doses de SPIKEVAX (Moderna, 2 injections à 4 semaines d'intervalle). Cette troisième injection a été administrée 41 semaines après la deuxième injection et l'analyse immunologique a été effectuée 4 semaines après la troisième injection.

Un rappel avec SPIKEVAX a multiplié les taux sanguins d'anticorps neutralisants contre le variant D614G (dominant en 2020) par 20 et contre Omicron par 24. Un rappel avec un vaccin Moderna actualisé pour Omicron a multiplié les taux sanguins d'anticorps neutralisants contre D614G par 11 et contre Omicron par 18.

Ainsi, de manière contre-intuitive, la protection contre Omicron conférée par le rappel n'était pas meilleure avec un vaccin actualisé.

Cette équipe a également observé que, dans les deux cas de figure, les deux types de dose de rappel avaient un effet similaire sur la prolifération des lymphocytes B dirigés contre la protéine Spike. De plus, après infection intranasale des macaques vaccinés par Omicron, le contrôle de la réplication virale dans les voies respiratoires était similaire dans les deux groupes.

Pourquoi un rappel avec un vaccin « historique » améliore-t-il autant la protection contre Omicron ?
Pour tenter de comprendre pourquoi le rappel avec un vaccin actualisé pour Omicron n'est pas plus bénéfique qu'un rappel utilisant les vaccins actuels, une équipe de l'université Rockefeller de New York a finement analysé la réponse immunitaire humorale à une troisième dose de vaccins à ARNm chez 43 personnes (35 immunisées 3 fois avec COMIRNATY et 8 avec SPIKEVAX, 23-78 ans, répartition égale des sexes, pas d'antécédent de COVID-19). Les prélèvements sanguins ont été faits 2,5 semaines après la première dose, 1,3 à 5 mois après la deuxième dose et 1 mois après la troisième dose, pour la mesure des taux d'anticorps neutralisants. De plus, chez 5 de ces patients, l'expansion du répertoire des lymphocytes B mémoire après les injections a été analysée en détail.

Après la troisième dose, les taux d'anticorps neutralisants contre les variants Wuhan, Bêta et Delta ont été multipliés par un facteur 12, ceux capables de neutraliser Omicron par un facteur 16 (différence significative).

Parmi les anticorps neutralisants, ceux capables de neutraliser Omicron représentaient 15 % du total après la deuxième dose, mais 50 % du total après la troisième dose (et 27 % du total chez des patients non vaccinés 12 mois après un épisode de COVID-19).

Mais les informations les plus intéressantes de cette étude sont celles relatives à l'expansion du répertoire des lymphocytes B mémoire.

En effet, après une dose de rappel avec un vaccin à ARNm « historique », les auteurs de cette étude ont pu, non seulement observer une expansion des clones de lymphocytes B mémoire présents après la deuxième injection, mais également l'apparition de nouveaux clones jusque-là absents du répertoire. Comparé aux suites de la deuxième injection, la troisième a provoqué l'apparition de 1,7 fois plus de nouveaux clones.

Alors que les clones après la deuxième injection produisaient plutôt des anticorps dirigés contre des épitopes de Spike de classes 1 et 2 (situés sur des parties éminemment variables du RBD de Spike), ceux des nouveaux clones visaient plutôt des épitopes de classes 3 et 4 (sur une partie du RBD davantage conservée dans les variants). Les anticorps dirigés contre les classes 3 et 4 sont moins efficaces pour bloquer la liaison avec ACE2, mais moins sensibles aux mutations du RBD.

De plus, certains clones étaient « mixtes », c'est-à-dire produisant des anticorps capables de se lier simultanément à des épitopes de classes différentes (1 et 4, par exemple). Les anticorps capables de faire un « pont » entre des épitopes de classes différentes procurent une action neutralisante sur un spectre plus large de variants.

Ainsi, l'administration d'une troisième dose de vaccin à ARNm se traduit, non seulement par la stimulation des clones de lymphocytes B mémoire préexistants, mais également par l'apparition de nouveaux clones dont la production d'anticorps élargit le spectre des variants neutralisés (même imparfaitement). Pour les auteurs, cette apparition de nouveaux anticorps à spectre plus large pourrait expliquer l'efficacité de la troisième dose de vaccin « historique » contre un variant aussi différent qu'Omicron.

En conclusion, il sera intéressant de voir si les résultats décevants rapportés chez les animaux après rappel avec un vaccin « omicronisé » seront également constatés chez les participants des essais cliniques en cours. Espérons que des études permettront d'évaluer l'intérêt de ce vaccin au cours de la primo-vaccination, comme suggéré chez les hamsters syriens. En attendant, il est rassurant de voir qu'un rappel avec les vaccins dont nous disposons dès aujourd'hui est capable d'élargir significativement le spectre des anticorps neutralisants.

Les données récemment publiées en préprint sur les effets d'une troisième dose de vaccin NUVAXOVID (Novavax) sur l'immunité humorale seront également à mettre dans l'équation. Dans cette étude, une dose de rappel de NUVAXOVID, administrée 6 mois après la primo-vaccination, semble faire passer les taux d'anticorps neutralisants contre Omicron à des valeurs suggérant une protection supérieure à 95 % contre les formes symptomatiques liées à ce variant (contre 66 % après la deuxième injection). La nature différente de ce vaccin (protéine Spike sur nanoparticules + adjuvant) pourrait le rendre complémentaire des vaccins à ARNm pour obtenir une immunité hétérologue à large spectre contre les variants présents et à venir.
 
©vidal.fr

Pour aller plus loin

Sur les effets cliniques de la dose de rappel avec les vaccins actuels
COVID-19 vaccine surveillance report - Week 7 - 17 February 2022, UK Health Security Agency.

Thompson MG, Natarajan K, Irving SA et al. Effectiveness of a Third Dose of mRNA Vaccines Against COVID-19-Associated Emergency Department and Urgent Care Encounters and Hospitalizations Among Adults During Periods of Delta and Omicron Variant Predominance - VISION Network, 10 States, August 2021-January 2022. MMWR Weekly, 2022 (71)4; 139-145

Sur la réponse humorale après un rappel avec un vaccin conçu contre Omicron
Gagne M, Moliva JI, Foulds KE et al. mRNA-1273 or mRNA-Omicron boost in vaccinated macaques elicits comparable B cell expansion, neutralizing antibodies and protection against Omicron. bioRxiv, 4 février 2022, doi.org/10.1101/2022.02.03.479037

Ying B, Scheaffer SM, Whitener B et al. Boosting with Omicron-matched or historical mRNA vaccines increases neutralizing antibody responses and prot ection against B.1.1.529 infection in mice. bioRxiv, 9 février 2022, doi.org/10.1101/2022.02.07.479419

Lee IJ, Sun CP, Wu PY et al. Omicron-specific mRNA vaccine induced potent neutralizing antibody against Omicron but not other SARS-CoV-2 variants. bioRxiv, 31 janvier 2022, doi.org/10.1101/2022.01.31.478406

Hawman DW, Meade-White K, Clancy C et al. Replicating RNA platform enables rapid response to the SARS-CoV-2 Omicron variant and elicits enhanced protection in naïve hamsters compared to ancestral vaccine. bioRxiv, 3 février 2022 doi.org/10.1101/2022.01.31.478520

Sur les effets de la dose de rappel sur le répertoire des lymphocytes B mémoire
Muecksch F, Wang Z, Cho A et al. Increased Potency and Breadth of SARS-CoV-2 Neutralizing Antibodies After a Third mRNA Vaccine Dose. bioRxiv, 15 février 2022. doi.org/10.1101/2022.02.14.480394

Sur les effets d'une troisième dose de vaccin NUVAXOVID (Novavax)
Mallory R, Formica N, Pfeiffer S et al. Immunogenicity and Safety Following a Homologous Booster Dose of a SARS-CoV-2 recombinant spike protein vaccine (NVX-CoV2373): A Phase 2 Randomized Placebo-Controlled Trial. medRxiv, 25 décembre 2021. doi.org/10.1101/2021.12.23.21267374


 
Sources

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