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Déficit en vitamine B12 : y penser chez les personnes en précarité

Pour des raisons éthiques ou économiques, la consommation d’aliments d’origine animale est en baisse : doit-on s’inquiéter d’une augmentation du risque de déficit en vitamine B12 ?

Stéphane Korsia-Meffre 07 décembre 2023 Image d'une montre13 minutes icon Ajouter un commentaire
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Quand prescrire une supplémentation en vitamine B12 ?

Quand prescrire une supplémentation en vitamine B12 ? / iStock/Getty Images Plus / via Getty Images

Résumé

Selon un sondage Ifop-Fiducial mené en septembre 2023, 30 % des Français se privent de certains aliments, coûteux, ou sautent régulièrement un repas. Dans ce contexte économique tendu, la consommation de viandes, poissons ou produits laitiers est en baisse. Par ailleurs, nous sommes de plus en plus nombreux à réduire notre consommation de viande sans pour autant opter pour un régime végétarien ou végan (« flexitarianisme »). Or les aliments d’origine animale sont la seule source de vitamine B12, indispensable pour la multiplication des cellules et le fonctionnement du système nerveux.

Les conseils de supplémentation habituellement prodigués aux végétaliens ou végans, ainsi qu’aux sujets âgés et aux femmes enceintes, doivent-ils être étendus à ces nouvelles personnes à risque ? Quels sont les signes d’un déficit en B12 ? Comment le diagnostiquer ? Qui et comment supplémenter ? Le point sur la seule vitamine hydrosoluble que nous sommes capables de stocker.

La vigilance en termes de déficit en vitamine B12 est habituellement de mise avec les végétaliens ou végans. Chez ceux-ci, cette vitamine, uniquement présente dans les aliments d’origine animale, doit être apportée par des compléments alimentaires ou des aliments enrichis en vitamine B12.

Les personnes âgées sont également davantage à risque de déficit en vitamine B12, du fait de la diminution de l’acidité gastrique (moindre absorption) et de leurs habitudes alimentaires (moins de viande et de poisson, souvent pour des raisons économiques).

Plus récemment, deux autres profils ont été évoqués comme à risque de déficit en B12 :

  • les « flexitariens » (qui, sans être végétariens, choisissent de réduire leur consommation de produits d’origine animale, en particulier de viande) ;
  • les personnes qui, pour des raisons économiques liées à la perte de leur pouvoir d’achat, sautent régulièrement un repas (11 % des Français selon un sondage Ifop-Fiducial de septembre 2023 [1]) ou réduisent l’achat des produits alimentaires les plus chers (comme la viande ou le poisson, 19 % des Français selon le même sondage).

Parce qu'ils sont de plus en plus nombreux, il nous a semblé important de faire le point sur la vitamine B12, le diagnostic d’un éventuel déficit, et les moyens d’y remédier.

Rappels sur la vitamine B12

La vitamine B12, ou cobalamine, désigne en fait une famille de quatre substances, dont trois sont présentes dans certains aliments (la quatrième, la cyanocobalamine, est synthétique). Ces vitamines hydrosolubles, d’une couleur rouge vif, contiennent du cobalt. En association avec la vitamine B9 (folates), la vitamine B12 intervient dans la synthèse de l’ADN et des acides gras, dans la production d’énergie à l’intérieur des cellules et dans le fonctionnement du système nerveux.

Les meilleures sources alimentaires de vitamine B12 sont les abats (notamment le foie), la viande, la volaille, le poisson, les fruits de mer et les produits laitiers. Il existe des exceptions : les œufs, le lait de chèvre et les produits laitiers qui en sont issus en contiennent peu (seulement 0,07 µg B12/100 g dans le lait de chèvre contre 0,24 µg/100 g dans le lait de vache) [2]. Le microbiote intestinal contribue modestement à l’apport de vitamine B12.

La vitamine B12 est la seule vitamine systématiquement absente des aliments d’origine végétale. On a cru longtemps que les produits à base de soja (comme le tofu, le miso ou le tempeh), la levure de bière, les céréales et les champignons contenaient de la vitamine B12. Il n’en est rien : ils contiennent en réalité une pseudovitamine B12 inefficace (adeninylcyanocobamide). La spiruline contient une faible proportion de méthylcobalamine (active), mais son absorption chez l’homme n’a pas été démontrée en présence de la pseudovitamine prédominante [3].

Une absorption majoritairement saturable

L’absorption de la vitamine B12 alimentaire commence par sa liaison à une protéine, l’haptocorrine salivaire, qui la protège de l’acidité gastrique [4]. Puis le facteur intrinsèque (FI), sécrété par les cellules pariétales de l’estomac, se lie à la vitamine B12 dans le duodénum. Le complexe FI-B12 est absorbé dans l’iléon distal. Cette voie, saturable, permet une absorption de 1,5 µg/jour. Une seconde voie d’absorption par diffusion, indépendante du FI, permet une assimilation de 1 à 5 % de la dose ingérée à travers les muqueuses. Elle est faible, mais non saturable.

De plus, la capacité d’absorption de l’intestin diminue lorsque le bolus de vitamine B12 ingéré augmente. Par exemple, une prise de 1 µg est absorbé à 50-56 %, mais une prise de 5 µg est absorbée à 18-28 % [5]. De ce fait, pour une supplémentation plus efficace, il est préférable de prendre une petite dose de vitamine B12 1 ou 2 fois par jour qu’une forte dose 1 fois par semaine.

Faisant mentir la règle selon laquelle les vitamines hydrosolubles ne sont pas accumulées dans l’organisme, la vitamine B12 est stockée dans le foie où ses réserves sont estimées être entre 2 et 5 mg, ce qui permet de couvrir les besoins d’un adulte pendant 3 à 4 ans [4]. Pour cette raison, les déficits en vitamine B12 s’installent progressivement, sur plusieurs années.

La vitamine B12 est très peu toxique, les apports en excès étant rapidement éliminés dans les selles et les urines.

Quelles sont les conséquences d’une insuffisance d’apport en vitamine B12 ?

La prévalence du déficit ou de la carence en vitamine B12 varie fortement selon les populations étudiées, les tests et les seuils utilisés (voir ci-dessous), allant de 1 % à près de 15 % [4]. Elle augmente fortement avec l’âge : en Suisse, une étude [6] prenant en compte quatre formes de dosage de la vitamine B12 a retrouvé une carence chez 8 % des 60 à 70 ans, 13,4 % des 70 à 80 ans, et 19 % des plus de 80 ans.

Les manifestations cliniques et biologiques les plus fréquentes du déficit en vitamine B12 (cf. [4] pour une liste exhaustive des symptômes) sont hématologiques (anémie macrocytaire) et neuropsychiatriques (polyneuropathie, ataxie, troubles cognitifs). Le tableau clinique franc reste rare et il s'agit plutôt d' atteintes infracliniques avec des taux sériques de vitamine B12 à la limite de la norme. Le diagnostic de ces formes frustes n’est pas aisé, les différentes méthodes de dosage présentant toutes certaines limites quant à leur interprétation (voir ci-dessous).

Les cellules hématopoïétiques étant celles qui se divisent le plus rapidement dans le corps, elles sont les premières à souffrir d’un manque de vitamine B12 [7]. Une macrocytose prononcée (volume globulaire moyen supérieur à 115 fL) est très évocatrice d’une carence en vitamine B12 (ou en folates), par rapport aux autres causes possibles (par exemple, un syndrome myélodysplasique, une hypothyroïdie, une maladie hépatique, une alcoolodépendance ou certains médicaments). À noter que l’administration de suppléments de folates (vitamine B9) ayant pour objectif de traiter une macrocytose peut précipiter une carence latente en vitamine B12 (parce que ces vitamines sont cofacteurs de deux réactions biochimiques, l'apport de B9 puise dans les réserves de B12 en facilitant ces réactions) et augmenter les signes neurologiques de celle-ci.

Les mécanismes cellulaires par lesquels un déficit en vitamine B12 affecte les fonctions neuronales sont mal caractérisés. Chez un quart des patients, les atteintes neuropsychiatriques surviennent indépendamment des manifestations hématologiques. Elles sont la conséquence de troubles de la myélinisation, classiquement au niveau des colonnes dorsolatérales de la moelle épinière, et plus rarement de la substance blanche cérébrale, des nerfs périphériques ou crâniens. Chez les personnes âgées, une irritabilité, des troubles de l’humeur, du raisonnement et de la mémoire ont été signalés lors d’insuffisance d’apport en vitamine B12 [4]. La carence en folates n’entraîne, quant à elle, pas de troubles neurologiques, y compris du système nerveux central.

Grossesse, allaitement et croissance sont des phases de besoins accrus : un nourrisson allaité par une mère carencée en vitamine B12 peut présenter un déficit sévère se traduisant par un retard de développement et des atteintes neurologiques.

Qui est à risque d’une insuffisance d’apport ?

Les personnes qui suivent un régime végétalien, végan ou macrobiotique strict sont particulièrement exposées à des insuffisances d’apport en vitamine B12 [2, 5]. Il en est de même pour celles qui souffrent de la maladie de Biermer (anciennement appelée anémie pernicieuse, une maladie auto-immune qui touche certaines cellules de l’estomac) ou celles qui ont subi une intervention chirurgicale de l’estomac destinée à lutter contre l’obésité. De plus, certains médicaments diminuent significativement l’absorption de la vitamine B12 : les inhibiteurs de la pompe à protons [8], les antagonistes des récepteurs H2 ou la metformine [9], par exemple. Les sujets âgés absorbent moins bien la vitamine B12 contenue dans les aliments, car l’acidité de l’estomac diminue avec l’âge. Cette particularité, associée à un apport parfois insuffisant (pour des raisons économiques) d’aliments d’origine animale, explique la fréquence des déficits en vitamine B12 dans cette population.

Les personnes qui, sans être végétariennes, choisissent de réduire leur consommation de produits d’origine animale (pour des raisons éthiques, environnementales ou économiques) sont également à risque (moindre) d’insuffisance d’apport en vitamine B12.

Selon l’Agence nationale de la sécurité de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), un adulte devrait ingérer au moins 4 µg de vitamine B12 par jour (les quatre formes de vitamine B12 semblent équivalentes en termes d’assimilation) [2]. Cette quantité est supérieure à la capacité de la voie d'absorption via le facteur intrinsèque. L'absorption par diffusion améliore la quantité assimilée d'autant plus que l'apport de vitamine B12 est fractionné au long de la journée. Une femme enceinte devrait en ingérer 4,5 µg/j et une femme qui allaite 5 µg/j. Une alimentation variée permet un apport minimal d’environ 5 à 7 µg/j, dont 50 % à 60 % sont absorbés.

L’Observatoire national des alimentations végétales (Onav, une organisation à but non lucratif indépendante [5]) propose des valeurs supérieures : au moins 25 µg/j pour les adultes et au moins 150 à 200 µg/j pour les personnes âgées (ou celles souffrant de maladie de Biermer). En effet, selon cet observatoire : « Pour les personnes basant leurs apports en vitamine B12 sur la complémentation, cette quantité moyenne quotidienne de l’Anses risque d’être insuffisante car la fréquence des prises est très rarement pluriquotidienne (elle est généralement quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle), ce qui conduit à un niveau moyen d’absorption (par prise) qui est bien plus faible que celui retenu par les autorités sanitaires pour établir leur recommandation. » L’Onav fournit également des recommandations d’apport hebdomadaire (au moins 1 200 µg/semaine) ou mensuel (au moins 5 000 µg/mois).

Quand et comment doser la vitamine B12 ?

Au niveau plasmatique, la vitamine B12 se lie à deux transporteurs [4] :

  • l’haptocorrine sanguine (formant l’holohaptocorrine) ;
  • la transcobalamine (formant l’holotranscobalamine, HoloTC).

L’haptocorrine transporte 80 % de la vitamine B12 circulante, mais sous forme inactive. L’HoloTC, qui transporte les 20 % restants, est la forme biodisponible, ou « B12 active ». En pratique, la mesure de la vitamine B12 sanguine totale (portée par les deux transporteurs) est le test le plus répandu. Selon certaines recommandations internationales :

  • un taux sérique de vitamine B12 supérieur à 220 pmol/L doit être considéré comme étant dans la norme ;
  • un taux inférieur à 150 pmol/L est compatible avec un déficit.

Entre ces deux valeurs règne une « zone grise » à l’appréciation du praticien.

Mais cette mesure directe est influencée par la quantité sanguine d’haptocorrine qui varie selon les patients : les déficits en haptocorrine, congénitaux ou induits (grossesse), ne sont pas exceptionnels [4]. Pour compenser ce biais, certains experts recommandent des dosages complémentaires. Parce que la vitamine B12 est le cofacteur de deux réactions enzymatiques (codépendantes des folates), une carence en vitamine B12 conduit à une accumulation des précurseurs de ces réactions : l’acide méthylmalonique (MMA) et l’homocystéine. La mesure du MMA est souvent considérée comme le meilleur moyen diagnostique de la carence en vitamine B12, mais sa corrélation avec la clinique est incertaine, notamment en cas d’insuffisance rénale [4]. Le dosage sanguin de l’homocystéine n’est pas spécifique de la carence en B12 : elle est également augmentée en cas de carence en folates, de tabagisme actif, d’alcoolodépendance ou d’insuffisance rénale.

Dans une revue très complète sur le sujet, Bruttin JP et al. [4] proposent « de doser en première intention la vitamine B12 totale. En cas de doute, la mesure du MMA ou l’HoloTC peuvent intervenir en complément pour orienter la suspicion. Alternativement, un traitement d’épreuve par vitamine B12 peut être instauré sur la base d’une clinique compatible malgré des résultats de laboratoire non conclusifs, le risque de surdosage étant minime. […] (Chez les femmes enceintes), nous recommandons plutôt une substitution empirique, reconnue sans risque pour le fœtus, et un contrôle du taux dans le post-partum ».

Pour ces raisons, du fait du manque de fiabilité des paramètres mesurés et de critères solides définissant le déficit [10], les experts s’accordent pour affirmer que la recherche d’une carence en vitamine B12 devrait être menée uniquement en cas de symptômes ou de facteurs de risque avérés (y compris la prise de metformine [9]).

Comment supplémenter en vitamine B12 ?

Historiquement, il était recommandé de supplémenter en vitamine B12 via des injections intramusculaires (IM) ou sous-cutanées (SC), la prise par voie orale étant réputée moins efficace. En 2018, une revue Cochrane [11] a montré que la supplémentation par voie orale est tout aussi efficace et suffisante pour prévenir un déficit (malgré un niveau d’évidence plutôt faible, principalement à cause du petit nombre d’études et de patients). D’autres travaux sont, depuis, venus renforcer cette conclusion [12, 13].

En présence d’une carence avérée, plusieurs schémas de substitution existent [14]. Le traitement préférentiel dépend de l’urgence et de la cause initiale. La fréquence d’administration est à adapter en fonction de l’amélioration clinique et du suivi biologique. La résolution de l’anémie mégaloblastique est en général rapide (6 à 8 semaines). Les symptômes neurologiques peuvent, quant à eux, s’aggraver dans un premier temps avant de régresser en quelques semaines ou mois.

La durée de traitement dépend de la cause initiale et de la persistance du déficit. Le traitement est à vie lorsque la cause est non réversible (maladie de Biermer, chirurgie gastrique). Si celle-ci peut être éliminée ou traitée (changements des habitudes alimentaires, modification du traitement médicamenteux), la supplémentation peut être arrêtée une fois le déficit corrigé.

La voie parentérale (IM ou SC, mais pas IV) est préférée pour le traitement des patients ayant un déficit en vitamine B12 symptomatique, ou ceux chez qui un trouble de l’absorption intestinale est suspecté ou avéré. Le schéma classique est de 1 mg/j de cyanocobalamine pendant 1 semaine, puis 1 mg/semaine pendant 1 mois, puis 1 mg/mois jusqu’à stabilisation [15].

Par voie orale, le schéma classique est de 1 ou 2 mg/j pendant 8 semaines, puis 1 mg/semaine jusqu’à 1 an (2 mg/semaine chez les patients avec un déficit très important). La voie orale est préférable dans un contexte de prévention : personnes végétaliennes, véganes ou consommant peu d’aliments d’origine animale, chirurgie gastrique, maladie de Biermer, etc.

Récemment, la voie sublinguale a été explorée, à la dose de 2 mg/jour [16, 17], avec une efficacité similaire à la voie parentérale.

En cas de carence concomitante en folates, la supplémentation en vitamine B12 doit être débutée en premier pour éviter que celle en acide folique puise dans les dernières réserves de B12 (voir plus haut) et entraîne une dégénérescence combinée subaiguë de la moelle.

Conclusion

Le diagnostic d’une carence en vitamine B12 est délicat en dehors des formes symptomatiques franches qui restent rares. Aucune mesure sanguine n’est parfaite et la prescription de deux dosages complémentaires peut améliorer l’appréciation d’un éventuel déficit. Ceux-ci devraient être réservés aux suspicions cliniques ou aux situations à risque afin d’éviter un diagnostic erroné et une supplémentation inutile.
Les personnes qui ont une alimentation pauvre en aliments d’origine animale, y compris pour des raisons économiques, ont intérêt à supplémenter leur alimentation en vitamine B12, en particulier les sujets âgés, plus exposés aux déficits d’absorption. Face à un patient précarisé, la question de la consommation d’aliments d’origine animale doit être abordée pour envisager, si nécessaire, une supplémentation, même si les réserves hépatiques peuvent subvenir aux besoins pendant 3 à 4 ans.

Sources

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